Réponse au discours de réception de Jacques de Tourreil

Le 14 février 1692

François CHARPENTIER

Réponse de Mr. CHARPENTIER au Difcours prononcé-par Mr. De Tourreil le jour de fa reception.

 

MONSIEUR,

Vous entrez heureufement dans l’Académie Françoife, immédiatement après que noftre Augufte Protecteur nous a exhortez de jetter tousjours les yeux dans nos élections, fur des perfonnes d’un fçavoir diftingué ; Nous ne pouvions pas luy donner une marque plus prompte ni plus precife de noftre obeiffance.

En remportant par deux fois le Prix de l’Eloquence au jugement de l’Académie mefme, vous vous en eftes ouvert les portes par cette douce violence que le Merite fait à l’Honneur. Voftre verfion françoife de quelques-unes des plus belles harangues de Demofthene, où vous fouftenez fi bien ce ftile nerveux & cette force de raifonnement, qui s’y font tousjours fait admirer, a brigué nos voix pour vous en cette occafion, & ce font-là les brigues où LOUIS LE GRAND ne trouvera jamais rien à redire. Eh ! que ne doit-on point attendre à l’avenir de voftre érudition & de l’âge floriffant où vous eftes. C’eftoit un ufage eftabli dans l’Académie de n’y recevoir perfonne, qui n’euft impirmé quelque ouvrage, pour répondre de fon heureufe application aux belles Lettres, & nous nous fouvenons tousjours d’un celebre Confeiller d’Eftat, qui fouhaitant ardemment une place de cette Compagnie, fit mettre fous la Preffe un Traité de fa compofition, qu’il ne laiffa, fortir de fon Cabinet, que pour fatisfaire à une couftume fi louable ; Car qui eft-ce qui pourroit avec honneur fe difpenfer d’un Noviciat fi illustre ? C’eft ce qui attire les fuffrages du Public que nous devons regarder comme le plus redoutable Critique de nos élections, & qui ne reconnoift point ces mérites cachez, qui par crainte ou par orgueil évitent de fe foufmettre à fon Tribunal. Ne faut-il pas admirer, MESSIEURS, la fage Prévoyance de LOUIS LE GRAND, qui prenant à cœur la gloire de cette Académie, nous montre luy-mefme l’unique voye que nous devons tenir pour la faire fubfifter avec fplendeur ; toute autre route nous meneroit à fa ruine. Le Cardinal de Richelieu l’avoit bien fenti, quand il affembla les premiers Académiciens ; Souvenez-vous-en, MESSIEURS, & rappellez la mémoire des grands hommes, qui contribuerent de leurs foins & de leur réputation à l’eftabliffement de la Compagnie. Reprefentez-vous le grand Chancelier Seguier, de qui l’on peut dire, mettant à part fa dignité, qu’il a efté un des plus excellens Orateurs de fon fiecle, & je ne doute point que s’il me pouvoit entendre, il ne fe tint honoré de ce que je dis de luy, puifque l’Empereur Numerien[1] voulut bien qu’on luy élevaft une ftatue fous le titre du plus éloquent Orateur de fon temps. Reprefentez-vous les Gombauts, les Chapelains, les Bourzeis, les Voitures, les Vaugelas, les Racans, les la Chambres, les Corneilles, les d’Ablancourts, les Saint Amants, les Godeaux les Balzacs, quels noms, MESSIEURS ! Et figurez-vous que c’eft l’intention de Sa Majefté, que vous donniez des Succeffeurs à ces grands Perfonnages, non feulement pour occuper leurs places, mais pour les remplir. Je les ay tous connus ces hommes incomparables que je viens de vous nommer, & c’eft par leurs fuffrages que je me fuis veu élevé en un rang dont je ne m’eftime pas encore digne. Je ne diray point comme quelques-uns ont fait, que c’eftoit le Siecle d’or de l’Académie ; car c’eft un nom qu’il faut referver tout entier au fiecle où nous vivons fous la protection du plus magnanime Roy du monde. Je ne vous diray point encore, car vous le fçavez tous, que les places de cette illuftre corps n’eftoient recherchées qu’en veue de fe procurer une vie tranquille dans un commerce perpétuel de l’Efprit & de la Raifon. On ne connoiffoit point l’amour de la Preffeance, dont les efprits foibles & les merites mediocres font leur capital. On fuioit les occafions de fe donner le moindre déplaifir l’un à l’autre avec le mefme foin que l’on évite la rencontre des Serpens et des Scorpions. Ce n’eftoit qu’Honneur, qu’Amitié, que Deference réciproque ; je ne fçaurois m’empefcher de l’avoüer, ce fouvenir ne me revient jamais à l’efprit que je n’en reffente de la joye, c’eft ainfi que Louis LE GRAND donne fa voix pour l’Election des Académiciens, dont il abandonne le détail à voftre Prudence & à voftre Difcernement. La France ne manque point de fujets illuftres, & je prévois que vous allez eftre plus embarraffez par l’abondance que par le deffaut ; Mais fouvenez-vous, MESSIEURS, & permettez-moy de vous en avertir puifque j’ay l’honneur d’eftre à la tefte de voftre Compagnie, par l’antiquité de mes fervices ; Souvenez-vous, dis-je, que le veritable Merite eft tousjours accompagné d’une fierté honnefte qui ne luy permet pas de demander avec trop de foufmiffion ce qu’il croit pouvoir obtenir avec juftice. Le faux Merite au contraire ne trouve rien indigne de luy ; Il n’y a point de follicitations qu’il trouve trop baffes ; Il n’y a point de longueurs qui luy paroiffent ennuyeufes ; Il n’y a point de froideur qui le rebute. Cependant il le faut avoüer, la foibleffe de la Nature humaine eft telle, qu’on ne fçauroit prefque rien refufer à cet Importun qui pourfuit tout avec empreffement, & que rien n’eft prefque accordé à ce Vertueux qui demande avec pudeur. Je veux croire, que l’Académie Françoife n’aura jamais rien à fe reprocher de cette nature ; Elle comprend trop bien qu’il y va du fervice de Louis LE GRAND, qu’il y va de l’intereft de fa gloire qu’elle doit avoir devant les yeux fur toutes chofes. Car comme il n’y a point d’occupation plus excellente pour un Orateur Francois, que de celebrer les Actions de ce Gand Monarque, & que c’eft mefme un devoir indifpenfable à un Académicien, il faut, MESSIEURS, que vous preniez garde, que des mains inhabiles ne foient admifes à toucher à des matieres fi precieufes. Alexandre le Grand ne voulut eftre peint que par Apelle, & il ne permit qu’au feul Lyfippe de jetter fa Figure en bronze ; Si ce Roy de Macedoine eftoit fi difficile au choix de ceux qui devoient reprefenter les traits de fon vifage, croyez-vous, que Louis LE GRAND doive eftre moins difficile au choix de ceux qui entreprendront de peindre les mouvemens de fon Ame, & de travailler au recit de fes faits heroïques ? quelle force de Genie, quelle Elegance de ftile pour faire des copies d’après ces grands originaux ? Un Efcrivain froid & languiffant, & qui ne fentira point en luy-mefme quelques eftincelles de ce feu qui a animé Louis LE GRAND, lorfqu’il a remporté tant de victoires, pourra-t-il en parler avec dignité & avec fuccez ? Jugez-en, MESSIEURS, en vous reprefentant une partie de ce qui eft arrivé à la France depuis qu’il eft monté fur le Throfne. Eft-il permis de fouhaitter plus de Profperité, plus de Grandeur ? Il n’y a point d’année qui n’ait efté remarquable par la conquefte d’une ou plufieurs Villes, ou par le gain de quelque Bataille figanlée fur Mer ou fur Terre. La Fortune ne s’eft point laffée de le fuivre, ou pour mieux dire, la protection que Dieu a accordée à la juftice de fes Armes ne l’a jamais abandonné. Il a juftifié par la rapidité de fes conqueftes la raifon pour laquelle les Anciens ont donné des ailes à la Victoire, parce qu’elle doit, difent-ils, pluftoft voler que marcher. Il n’a pas fuivi l’exemple de tant d’autres Princes, qui ont pris des Villes & gagné des Batailles dans leur cabinet. Il n’a point efté Victorieux oifif ; il a marché à la tefte de fes Armées, il a effuyé toutes les fatigues de la Guerre ; Il ne s’eft point tenu dans fon Palais tandis que l’Arche du Seigneur eftoit en campagne. Combien de fois a-t-il prefenté la bataille à fes Ennemis, qui n’ont pas ofé tenir ferme devant luy. Il a attaqué des Ville,s il a réduit leurs remparts en poudre, & bien en a pris à quelques-uns qu’il fuft prefent à fa victoire, pour les fauver par un effet de fa clemence des malheurs où demeure expofée une Ville emportée d’affaut. Les feux allumez pour la prife de Mons ne font pas encore éteints ; Les actions de grace & les Cantiques de joye en refonnent encore dans nos Temples, il n’eft pas befoin de vous en dire davantage pour vous en faire reffouvenir. Quelle intrepidité n’a-t-il point fait voir en conduifant luy-mefme les travaux, de ce fameux fiege ? Avec quelle fermeté de cœur a-t-il répondu aux prieres des principaux Officiers de fon armée, quand ils luy ont reprefenté que la tranchée n’eftoit pas le pofte d’un Roy de France ? En vain toutes les Puiffances de l’Europe fe font unies pour luy faire abandonner cette entreprife, ou pour la rendre plus difficile. Cette Ville qui préfumoit tant de fes forces à peine a fouftenu dix-fept jours de tranchée ouverte, Louis a frappé de fon foudre cette Montagne orgueilleufe[2], & la refolution de fes deffenfeurs s’en eft allée en fumée. Pour couvrir la honte de leur impuiffance, ils tiennent leurs troupes en campagne, comme s’ils euffent voulu tenter le hafard d’une bataille. L’Etoile dominante de Louis les pourfuit, & ne permet pas qu’ils jouiffent long-temps de cette vaine oftentation de leur courage. A la premiere rencontre foixante & douze de leurs Efcadrons font taillez en pieces par vingt-huit des noftres, & l’épouvante qu’en prend toute leur armée les contraint de fe retirer. L’Antiquité nous vante avec raifon ces braves Lacedemoniens qui arrefterent au Pas des Thermopyles toutes les forces du Roy de Perfe. Il n’eft pas mal-aifé de croire qu’un petit nombre de vaillans foldats, poftez avantageufement en un paffage fort eftroit, ayent long-temps refifté à une armée entiere parce qu’ils ne pouvoient eftre attaquez que de front. Il eft vray que comme il venoit inceffamment contre eux de nouveaux combatans, & qu’à la fin ils furent enveloppez, ils y demeurerent tous fans qu’il en échapaft un feul. Ainfi ce fait d’armes, quoy que tres-glorieux, eft plus remarquable par le mépris de la mort, que par l’utilité du combat. Mais dans l’action des François où vingt-huit Efcadrons en attaquent foixante & douze en rafe campagne, & les mettent en déroute, c’eft tout ce que l’Art militaire & la force du Courage peuvent faire fans prendre de refolution defefperée.

Que dire encore ? Tandis que tout fuccede à Louis du cofté de la baffe Allemagne, & que l’armée des Confederez fe diffipe prefque à fa vüe, il foûmet par fes Lieutenans toute la Savoye, & fait connoître à fon Souverain combien il eft dangereux de prefter l’oreille aux confeils de fes ennemis. La chute de Montmelian acheve, mais trop tard, de l’en convaincre. Cette place qu’on croyoit inexpugnable, & qui eftoit fa derniere Efpérance, eft inveftie, eft affiegée, eft forcée malgré les rochers qui l’environnent, & dans une faifon où l’on peut dire que les troupes Françoifes n’avoient pas moins à fouffrir de la rigueur du froid des Alpes, que du feu continuel d’une garnison nombreufe & qui fe croyoit invincible. Vous voyez bien, MESSIEURS, que j’ay paffé ce nombre infini d’événemens glorieux, dont le Regne de Louis LE GRAND eft rempli, pour ne m’attacher qu’aux derniers, car qui pourroit fuffire à parler de tous, quand on ne feroit que les nommer ? Ce font là les fujets qui s’offrent à vos plumes immortelles, tandis que d’autres prendront le foin de les reprefenter, par des images myterieufes, fur les metaux les plus precieux & les plus durables. Mais vous en tiendrez-vous là, MESSIEURS, & ne cueillerez-vous des couronnes pour Louis LEGRAND, que dans cette foreft de Trophées qui fe trouvent élevez à fa gloire ? Seriez-vous perfuadez qu’on n’eftudiera fa vie que pour chercher des exemples de cette Vertu foudroyante qui renverfe les Empires, qui tranfporte les Sceptres & les Diademes ; Un Roy qui du confenternent de tous les Peuples & de fes Ennemis mefmes, a merité le titre de GRAND, doit l’eftre en toutes fortes de Vertus, & c’eft ce qui fournira mille fujets d’admiration à ceux qui attacheront fixement leurs regards fur ce Prince miraculeux, foit qu’ils le contemplent en Philofophes, pour avoir le feul plaifir de voir jufqu’où peut aller la fouveraine Raifon jointe à la Puiffance ; Soit qu’ils le confiderent en Politiques, pour tirer de fes actions des enfeignemens avantageux pour la conduite des autres Monarques.

Faudra-t-il trouver un exemple de la moderation d’un Vainqueur, quand il peut tout fe promettre de fa profperité ? Ils le trouveront dans la magnanimité de LOUIS LE GRAND, qui pour donner la Paix à l’Europe, arrefte luy-mefme le progrez de fes victoires.

Voudra-t-on eftablir que le Prince ne doit jamais manquer de parole ? On le prouvera par la fidelité avec laquelle il reftitua la Franche-Comté aux Efpagnols en execution de fa promeffe.

Souftiendra-t-on qu’il eft quelquefois glorieux au Souverain de ceder de fon droit ? On alleguera en preuve l’action célébre de ce grand Roy, qui dans un fameux Confeil où les voix fe trouveront partagées à l’occafion d’une affaire de finance, dont la propofition n’eftoit pas fans difficulté, il les départagea par fa voix feule, aimant mieux fe condamner que de fe donner gain de caufe par fon fuffrage, & comptant contre foy-mefme l’autorité de fa prefence. Rencontre merveilleufe, de penfées & de fentimens entre luy & le grand S. Louis, qui dans ces inftructions toutes celeftes, toutes divines, qu’il donna en mourant à fon fils, luy recommanda principalement qu’en toutes les occafions où l’on contefteroit contre luy pour quelque intereft, il euft tousjours plus mauvaife opinion de fon droit, que de celuy de fes parties adverfes, jufqu’à ce qu’il connuft clairement la verité ; que par ce moyen ceux qu’il appelleroit dans fes confeils, diroient leur avis avec plus de liberté, & rendroient des jugemens plus équitables.

Sera-t-il befoin de faire voir que l’épreuve d’un grand courage, ne fe fait pas feulement à s’expofer aux périls d’une Bataille ou d’un Siege de ville, mais encore à fouffrir conftamment la violence d’une maladie aiguë, & à voir la mort s’approcher de fens froid & à pas lents dans fon appareil le plus terrible ? Ils reprefenteront Louis LE GRAND, atteint de cette dangereufe maladie dont la France fut fi allarmée, & qu’il fupporta avec tant de fermeté & de tranquillité d’efprit, qu’au milieu mefme de fes plus afpres douleurs, il ne laiffoit pas de tenir Confeil & de donner fes ordres.

C’eft fur l’exemple de ce Roy vrayement Tres-Chreftien, qu’il paffera pour conftant qu’un Prince doit avoir un zele ardent pour la Religion ; & l’on racontera fur ce fujet tout ce qu’il a fait pour étouffer l’Herefie qui avoit long-temps infefté la France de fon poifon. On parlera de tant de Miffions eftablies par fa pieté dans les Indes & dans le nouveau Monde, pour abolir l’empire des Demons, & faire connoiftre le vray Dieu à tant de Nations qui l’ignoroient.

Voudra-t-on fouftenir qu’un grand Prince doit prendre luy-mefme le foin de l’éducation de fes enfans ? On fe fervira de fon exemple, & de ce qu’il a eftimé ne pouvoir donner un témoignage plus précis de fon amour envers fes Peuples, que d’entrer dans une obligation fi importante au bien de l’Eftat. Il n’y a point d’affaires, quelles qu’elles foient, qui puiffent fervir d’excufe à un Souverain quand il manque à ce devoir indifpenfable ; & c’eft un reproche qu’on a fait à deux des plus grands Rois du monde, quoy que d’ailleurs tres-vertueux & tres-eftimables, lorfqu’emportez par les longues guerres qui les éloignoient de leurs Eftats, ils ont negligé leurs propres enfans. Y a-t-il un Prince plus illuftre que le grand Cyrus, le Fondateur de la Monarchie des Perfes ? C’eft un Roy Payen, mais c’eft un Roy que le vray Dieu avoit choifi pour eftre le Liberareur de fon Peuple, à qui il l’avoit promis, non point obfcurément & fous des termes énigmatiques, mais diftinctement[3] par fon Nom propre deux cens ans avant fa naiffance. C’eft un Roy que Dieu dit avoir fufcité pour la juftice, & qu’il appelle fon Pafteur, fon Chrift, fon Oinct, voulant faire entendre que c’eftoit luy-mefme qui l’avoit facré Roy d’une des plus grandes parties de l’Univers. Cependant ce Roy fi merveilleux, fi chery du Ciel, n’a pû fe garantir de la cenfure des Sages, qui l’ont blafmé de n’avoir pas pris affez de foin de l’inftruction de fon fils, dont le Regne fut auffi malheureux & méprifable, que celuy de fon pere avoit efté glorieux & fortuné. C’eft ce que dit Platon au troifiéme Livre des Loix, où il l’accufe fort férieufement, d’avoir mal élevé fon fils ; car, ajoute t-il, tandis qu’il s’occupoit à faire la guerre, il avoit laiffé fes enfans entre les mains des femmes & des courtifans qui les avoient nourris avec trop de complaifance, & il n’avoit pas fongé à faire inftruire dans l’aufterité de l’ancienne difcipline des Peres, celuy qu’il devoit avoir pour Succeffeur en tant de Royaumes. Il en dit autant de Darius qu’il reprend encore d’avoir mal élevé Xerxés fon fils & fon heritier, & qui tomba dans les mefmes defordres de Cambyfe, parce qu’il avoit efté nourri comme luy au milieu des Flatteurs, furquoy il fait cette exclamation, O Darius, c’eft une honte que l’exemple de Cyrus ne t’eft point rendu fage, & que tu ayes fait la mefme faute à l’occafion de Xerxés que Cyrus à l’occafion de Cambyfe. Contentons-nous  de ces deux exemples, appuyez de la reflexion de ce divin Philofophe, pour conclure, que fi cette negligence a efté une tache à la mémoire de ces deux Monarques, la raifon des contraires veut que ce foit un jufte fujet de loüange à tous les Souverains qui ont veillé eux-mefmes à l’Inftitution de leurs enfans. Graces à la Providence divine, nous en faifons aujourd’huy avec eftonnement le Regne de Louis LE GRAND. Que de Bonheur, que de Juftice, que de Magnificence ! Mais admireront-ils moins cette prevoyance qu’on ne peut affez louër, ce foin vrayement Paternel, qu’il prend de former l’efprit & les mœurs des trois jeunes Princes que l’heureux mariage de fon fils nous a donnez ? La plufpart de ceux qui fentirent les influences de ces nouveaux Aftres, ne font pas dans l’Eftre des chofes, & LOUIS LE GRAND commence à jetter les fondemens de leur félicité. Peut-on porter plus loin fa bonté que de l’eftendre fur un Peuple qui n’eft pas encore ? C’eft pour le bonheur de ce Peuple à venir, que Louis prend desja des mefures quand il s’applique à l’éducation de Monfeigneur le Duc de Bourgogne & de Meffeigneurs fes Freres.

[4]Dieu qui veut que celuy qui le craint en reçoive quelque récompenfe dés ce Monde-cy, & qui promet de le rendre heureux par l’eftat floriffant de fes enfans, a desja fait cueillir à ce grand Monarque les fruits qu’il pouvoit efperer de l’attention qu’il a euë à la jeuneffe de Monfeigneur le Dauphin. Il en fait l’heureufe épreuve par ce refpect fincere, par cette tendreffe veritable que ce Prince a tousjours euë pour luy. C’eft cette obeïffance filiale qui fait une partie de noftre repos, & de noftre félicité. Vainqueur du Rhin & de l’Allemagne, Capitaine non moins heureux que vaillant, en un eftat fi proche de l’indépendance, il fait confifter fa gloire à demeurer attaché aux volontez de fon pere. Effet admirable de l’éducation excellente qu’il a receuë en fon temps de ce grand Monarque à qui il doit le jour ! Quel exemple pour tous les Princes ! Quel exemple pour tous les autres hommes ! Quel agréable fpectacle de voir le plus puiffant Roy du monde, avoir le fils le plus vertueux, & particulierement en ce genre de Vertu, fi rare parmy les enfans des Grands, & qui a efté recompenfée autrefois d’une benediction fi eftenduë & fi conftante parmy ces anciens Patriarches, qui ont efté les anceftres du Fils de Dieu felon la chair !

Mais où me porteroit mon difcours, MESSIEURS, s’il falloit confiderer en particulier toutes les autres qualitez héroïques de ce Monarque incomparable ? Charité envers les malheureux ; Inclination à pardonner ; Libéralité vrayement royale ; Application conftante à tous fes devoirs, Douceur, Affabilité, Modération & Retenuë, qualitez fi rares dans les Souverains, mais de tout temps admirées dans LOUIS LE GRAND, à qui il n’eft jamais échappé un feul mot équivoque, dont quelqu’un de fes Sujets puft eftre affligé.

Je me tais donc, MESSIEURS, & il faut que mon filence ouvre la bouche à nos illuftres Académiciens, qui felon la couftume vous ont apporté quelques fruits de leurs fçavantes Meditations. Mon devoir, mon zele, l’occafion de cette Affemblée, le lieu où nous fommes, l’image augufte de ce Prince que nous avons devant les yeux, tout m’a adverty de parler de luy ; mais j’ay bien experimenté qu’il eftoit plus aifé de commencer à le louër que de finir.

Peut-eftre auffi aurez-vous desja penfé que j’ay trop long- temps occupé- voftre audience, fi la dignité du fujet ne m’avoit juftifié dans voftre efprit.

L’Académie Françoife qui doit tout à Louis LE GRAND, ne doit jamais fe laffer d’ouïr fes louanges. J’adjoufteray qu’elle ne doit point auffi fe laffer de faire des vœux, pour attirer d’en haut la continuation des graces que Dieu a verfées jufqu’à prefent fur fa perfonne facrée, fur fa maifon Royale, fur fon floriffant Empire. Faffe le Ciel qu’il force encore un coup fes ennemis d’eftre heureux, & de recevoir de fa main la tranquillité qu’ils fçauroient fe donner à eux-mefmes. Enfin qu’il rempliffe pleinement fon très glorieux & tres-fingulier caractere, qui eft, d’eftre NÉ POUR LE BONHEUR DE TOUT L’UNIVERS.

 

[1] Numeriano Caefari Oratori temporibus fuis potentiffimo. Vopifcus.

[2] Tangit montes & fumigant. Pf. 103.

[3] Et vocavi te nomine tuo. If.45.

[4] Filii tui ficut Novellae olivarum in circuitu menfae tuae. Ecce fic benedicetur homo qui timet Dominum. Pf. 27.