Réponse au discours de réception de Étienne Pavillon

Le 17 décembre 1691

François CHARPENTIER

Réponse de Mr. CHARPENTIER, au Difcours prononcé par Mr. Pavillon le jour de fa reception.

 

APRÈS la dangereufe maladie dont je fus frappé l’Efté dernier, je ne croyois pas, MONSIEUR, me trouver aujourd’huy en eftat de vous introduire dans l’Académie Françoife, à la place vacante par le deceds de Monfieur de Benferade. La Compagnie a perdu en luy un de fes ornemens. C’eftoit un efprit original, & qui ne devoit qu’à luy feul toute fa reputation. Sans rien emprunter des Anciens, ny mefme les avoir trop bien connus, il les a égalez, & fi l’on apperçoit dans fes Ecrits quelques-unes de leurs penfées ; c’eft un effet du hazard pluftoft que de l’imitation. Il a montré qu’il fe pouvoit faire encore quelque chofe de nouveau fous le Soleil, & ce caractere de nouveauté luy a efté fi naturel, que fî-toft qu’il l’a voulu abandonner, il n’a plus efté le mefme, & le commerce qu’il avoit avec les Graces, demeuroit interrompu quand il travailloit fur d’autres idées que les fiennes. Cette perte, MONSIEUR, eft reparée par l’union que vous prenez avec l’Académie. L’eftime que vous vous eftes acquife fait remarquer en vous des talens qui ne font pas moins précieux que ceux de cet illuftre mort, quoi qu’ils foient affez differens. Vous avez joint à la vivacité de l’efprit, & au brillant de l’invention, la varieté d’une profonde Littérature ; & la comparaifon qu’on peut faire entre vous deux juftifie ce que Ciceron a penfé de l’Eloquence, quand il a dit que deux Orateurs pouvoient eftre parfaits fans fe reffembler. La Charge d’Avocat Général au Parlement de Mets, que vous avez exercée avec un applaudiffement univerfel ; Les excellentes Pieces de Vers & de Profe qui vous font depuis échappées dans le repos de voftre, Cabinet, ont mis hors de doute, qu’il n’y a pas de genre d’écrire où vous ne réüffiffiez parfaitement. Comme c’eft à ce merite que l’Académie eft uniquement attentive dans fes Elections, je ne m’arrefteray point, MONSIEUR, à confiderer en vous l’étroite affinité que vous avez avec un Minittre, dont l’intelligence & l’intégrité connuës, font que le Roy fe repofe fur luy de fes plus importantes affaires, & particulierement de la conduite de fes Finances, qui font les nerfs de la guerre, ou pour mieux dire, les principaux refforts de la machine politique. Il ne faut point chercher hors de vous-mefme les chofes qui vous rendent eftimable. Cependant, MONSIEUR, je ne puis m’empefcher de réfléchir fur la mémoire d’un faint Evefque, avec qui vous avez efté fi étroitement uni par les liens du fang. L’éclat de fa pieté, & de fes autres vertus, rejaillira éternellement fur vous ; & tout le Clergé de France, qui le regarde comme une de fes plus vives lumieres ; le Diocefe d’Alet, qui a efté l’heritage que le Seigneur luy avoit donné à cultiver ; en un mot, le Royaume entier qui a fi fouvent profité de fes inftructions & de fes exemples, auront tousjours une finguliere vénération pour luy, & une eftime très-fincere pour tout ce qui porte fon nom. Vous fçavez, MONSIEUR, que le Cardinal de Richelieu, qui l’avoit engendré en l’Epifcopat, a auffi jetté les premiers fondemens de l’Académie, & à moins que les chofes d’icy-bas ne foient tout à fait indifférentes à ces Ames bienheureufes qui font en poffeffion de la Gloire, il femble que le Grand Armand ne peut s’empefcher de fe réjouïr, en voyant entrer dans cette Compagnie, qui a efté fon Ouvrage chéri, le neveu d’un Homme qu’il avoit élevé à la premiere dignité de l’Eglife, & qui a fait tant d’honneur à fon choix. N’oferois-je dire, MESSIEURS, que ce grand Cardinal s’applaudit jufques dans le Ciel, d’une fi noble & fi utile inftitution que la voftre, quand il fe reprefente les avantages que toute la France en retire, foit pour la predication de l’Evangile, foit pour la défenfe de la Juftice & des Loix ? Quel fpectaccle pour luy de vous voir occuper une partie de ce Palais augufte, & qu’il vous foit permis déformais de philofopher fous le Dais & dans la Pourpre ? Mais avec quel eftonnement remarque-t-il Fils & l’Héritier de fon cher Maiftre, & de fon magnifique Bienfaiteur, a bien voulu prendre après luy la qualité de Protecteur de l’Académie frarçoife, & fe déclarer par un effet de l’amour des Lettres, le Succeffeur d’un de fes Sujets ? N’eft-ce pas par un effet de ce mefme amour qui ne s’éteindra jamais dans fon cœur, que s’intereffant à l’honneur de vos Elections, dont il vous laiffe la liberté toute entiere ; il vous exhorte de jetter tousjours les yeux fur les perfonnes d’un merite le plus diftingué, fans vous abandonner ny au torrent des brigues, ny au penchant de vos propres inclinations ? Et ne s’en eft-il ps expliqué de la forte, lorfque le Scrutin de cette derniere Election luy fut prefenté ? C’eft ainfi que l’Autorité fuprême, qui décide de tout abfolument, & qui ne parle que poru eftre obeïe, veut bien vous declarer fes volontez, pluftoft par maniere de confeils qu’en termes de commandement, ce qui marque pour vous de certains efgards qui vont, s’il faut ainfi dire, jufqu’à la délicateffe. Trouvera-t-on rien de pareil dans cette longue fuite de Monarques, qui depuis plus de douze cens ans fe font affis fur le Throne des François ? Il faut l’avouer, MESSIEURS, nos anceftres ont eu peu de gouft pour les exercices de l’efprit. Nos premiers Rois les ont totalement negligez. Les uns ont retenu long-temps je ne fcay quelle teinture de barbarie, qui n’a que trop paru par les cruautez qu’ils ont exercées fur leur propre Sang. D’autres, au contraire, fe font plongez dans une moleffe qui à la fin leur a efté fatale, & leur a fait perdre une Couronne dont leur faineantife les rendoit indignes. La premiere alliance des Armes & des Lettres a paru parmy nous fous le regne d’un grand Roy & grand Empereur, dont les glorieufes inclinations auroient eu fans doute tout le fuccés qu’on en devoit attendre, fi les guerres qui s’éleverent entre fes propres Enfans, n’euffent empefché ces heureufes femences de germer. D’ailleurs la matiere mefme de l’Eloquence n’eftoit pas encore bien difpofée à produire de grands effets. La Langue des François, à qui je n’aurois pas ofé pour lors donner le nom de Langue Françoife, n’eftoit compofée que d’un bon Allemand & d’un méchant Latin ; & que pouvoit-il fortir d’excellent de ce mélange ? Il eftoit refervé à Louis LE GRAND, de baftir le Temple de l’Eloquence Françoife, qui eft un Ouvrage d’autant plus admirable, que c’eft un pur Ouvrage de la Raifon. Ce lieu cy, MONSIEUR, ne retentit que des louanges de ce Prince, qui eft l’Auteur de tant de merveilles, & en qui nous trouvons toutes les caufes de noftre bonheur. Tantoft on y cele­bre fon nom fous le titre de Vainqueur perpetuel ; Tantoft fous celuy de Legiflateur. D’autrefois nous le regardons comme le Défenfeur de la Religion, le Vengeur des Rois, l’unique recours de l’Innocence perfecutée, l’infaillible fupport du merite infortuné. Penetrez de fes vertus nous en parlons inceffamment, & nous n’en parlons qu’avec tranfport. Vous le verrez, MONSIEUR, toutes les fois que vous vous rendrez icy. Vous ne nous prendrez point au dépourveu. L’experience vous fera connoiftre que Louis LE GRAND eft le principal objet de nos entretiens, & que tout ce qui ne nous parle point de luy, nous femble indigne de nous occuper.