Réponse au discours de réception de Jacques-Bénigne Bossuet

Le 8 juin 1671

François CHARPENTIER

RÉPONSE de Mr. CHARPENTIER au Diſcours prononcé par Mr. l’Evêque de Condom, à preſent Evêque de Meaux, le jour de ſa reception.

 

 

MONSIEUR,

APRÈS avoir remporté les applaudiſſemens de toute la France par vos celebres Prédications ; après avoir été élevé à la premiere dignité de l’Egliſe par le concours de la puiſſance Royale, & de l’autorité du Saint Siège ; après avoir merité le choix de nôtre Auguſte Monarque pour l’éducation du premier Prince de toute la Terre ; après, dis-je, tant d’évenemens éclatans qui vous comblent de gloire de tous côtez, aviez-vous encore quelque choſe à ſouhaiter ?

Cependant, MONSIEUR, vôtre arrivée en ce lieu-cy, qui apporte un ſi grand ornement à la Compagnie ; ces paroles obligeantes qu’elle a ouïes de vôtre bouche ; cet agreable épanouïſſement de cœur & de viſage que vous luy faites paroître, marquent bien que vous avez regardé l’occaſion preſente, comme la matiere d’une nouvelle joye qui vous étoit offerte, & que vous avez voulu ajoûter le nom d’Académicien aux titres ſublimes d’Orateur Chrétien, d’Évêque, & de Précepteur de Monſeigneur LE DAUPHIN.

Vous ne nous ſurprenez point, MONSIEUR par cette penſée, qui ne fait que confirmer ce que la voix de la Renommée avoit déja publié de vôtre merite. Vous juſtifiez par là vôtre bonne fortune ; & cet amour déclaré des bonnes Lettres fait connoître évidemment une des cauſes de vôtre proſperité auprès d’un Roy ſi éclairé, & qui ſe plaît à diſtribuer les plus grandes recompenſes aux plus vertueux. Il n’eſt pas malaiſé de croire, qu’un homme qui a paru avec autant d’éclat que vous avez fait, MONSIEUR, ait de la doctrine & de l’éloquence, il n’eſt pas malaiſé de croire qu’avec ces talens il s’éleve aux premieres places. Mais qu’après avoir acquis tant de reputation & de dignité, il ſe faſſe encore un honneur d’entrer dans nos exercices Académiques, c’eſt ce qui n’eſt pas aiſé de croire, parce que peu de gens ſont capables de ces genereux ſentimens, & de cette nobleſſe d’ame.

Il en faut aſſeurément beaucoup. Il faut beaucoup d’elevation d’eſprit, & en même temps un grand diſcernement, pour enviſager la beauté de l’Etude ſous le Dais & dans les Baluſtres. Il regne parmy le grand Monde je ne ſçay quelle contagion de faſte & d’orgueil, qui combat étrangement la ſimplicité de la Philoſophie ; & quiconque peut conſerver dans ſon cœur l’eſtime qu’on en doit faire parmy tant d’objets qui ſemblent en inſpirer le mépris, peut s’aſſûrer qu’il eſt au deſſus des opinions vulgaires, & que ſa raiſon eſt victorieuſe de l’erreur.

C’eſt ſans doute la connoiſſance de la Verité & l’amour du Bien qui mettent de la diſtinction entre les hommes. La Cour a ſon Peuple, auſſi bien que la Ville. La Pourpre couvre quelquefois des ames baſſes ou mediocres ; & ce n’eſt point la ſplendeur de la naiſſance, ni la grandeur des emplois, ni l’abondance des richeſſes, qui ſont les hommes extraordinaires. Tous ces avantages véritablement ne ſont pas inutiles ; mais ce ne ſont pas ceux ſur qui roule la félicité, ni d’où ſe tire la véritable louange. Le Mérite perſonnel, ce Merite qui trouve en ſoy-même ſa recompenſe, & qui n’en voit point au dehors de ſi élevée où il n’ait droit de prétendre, eſt quelque choſe de plus excellent que les grandeurs & que les richeſſes : mais c’eſt un bien qui ſe trouve rarement, & ſi rarement, qu’il ſemble que le Ciel ſoit prodigue de tous les autres biens en comparaiſon de celuy-cy dont il eſt tres-avare. Cela veut dire, qu’il eſt plus aiſé de faire une grande fortune, que d’être un parfaitement honnête homme, parce que la fortune ſe peut preſenter par mille voyes différentes ; au lieu que ce Merite perſonnel, qui fait l’honnête homme, ne ſe peut acquérir, ni ſe conſerver qu’en cultivant ſon ame par les belles connoiſſances, & en faiſant une proſſeſſion continuelle de la vertu ; de ſorte que celuy qui prend ce ſoin de luy-même ; qui au milieu des grandeurs en eſtime moins la poſſeſſion, que ce qui l’en rend digne ; qui en tout temps, en tout âge, en tout état, s’efforce de ſe conſerver par l’exercice ces excellentes habitudes, qui s’évanouïroient peut-être par la négligence, de même que les Arts s’oublient faute de les pratiquer, doit être conſideré comme un homme que le Ciel a libéralement & pleinement pourvû de cette qualité ſi précieuſe, de ce merite ſi eſtimé & ſi rare. Je n’oſerois, MONSIEUR, en vôtre preſence faire l’application de cette vérité ſur vôtre perſonne, mais je ſuis trés-aſſûré que l’action que vous venez de faire ne ſera point oubliée parmy vos éloges.

L’Egliſe a toûjours eu des Prélats, qui n’ont pas moins attiré de veneration ſur eux par l’éminence de leur ſçavoir, que par la majeſté de leur Sacerdoce. Le grand S. Baſile, S. Grégoire de Nazianze, S. Auguſtin, S. Ambroiſe, Syneſius Évêque de Cyrene, le Patriarche Photius, Eufebe l’ami de Pamphile, & mille autres, ont été l’admiration de leurs ſiecles ; & l’obligation immortelle que les ſtudieux ont aux ouvrages de ce dernier, fait que nous avons preſque oublié ſon héreſie, ou que nous ne nous en ſouvenons que pour déplorer ſon malheur. Vous marchez, MONSIEUR, ſur les pas de ces illuſtres Évêques de l’antiquité ; & pour vous trouver des veſtiges plus frais, vous marchez ſur les pas de l’incomparable Cardinal Richelieu, nôtre premier Protecteur, qui nous a aſſemblez, qui nous a obtenu les premieres graces royales & qui nous auroit laiſſé un regret éternel de ſa perte s’il n’avoit eu pour ſucceſſeur Monſeigneur le Chancelier, qui par ſa conſtante affection envers l’Académie, l’a maintenuë, l’a aggrandie, l’a honorée. Vous marchez ſur les pas du fameux Cardinal du Perron, des Bembes, des Sadolets, des Bentivoles, & des autres ornemens du Sacré College, qui ont crû qu’il ne leur étoit pas moins glorieux de ſe parer de l’immortelle verdeur des lauriers du Parnaſſe, que de ſe diſtinguer par l’éclat éblouiſſant de la Pourpre Romaine.

Que n’attend point de vous la France ? Que n’attend-elle point de ces nobles mouvemens de vôtre ame dans l’employ où vous êtes auprès de ce jeune Prince, qui fait aujourd’huy l’eſperance de l’État, & qui doit un jour en faire la félicité ? Tandis que ſon Pere, tout brillant de l’éclat de ſes victoires & de ſes vertus, viſite ſes Frontieres , aſſûre ſes Conquêtes, affermit ſes Alliez, & diſſipe les nuages que l’envie ou l’injuſte frayeur peuvent élever contre ſa juſte proſperité, c’eſt ſur vous qu’il ſe repoſe de l’inſtruction de ce cher fils, & à qui il confie, le ſoin de l’introduire dans les Myſteres des Muſes, ſans le ſecours deſquelles on trouve quelque choſe à dire dans la fortune des plus grands Princes. Une fonction ſi importante, & qui vous rend ſi neceſſaire auprès de ſa Perſonne Sacrée ne nous permet pas de croire que nous puiſſions ſouvent jouïr de vôtre preſence ; mais elle ne nous défend pas d’eſperer que nous ſerons ſouvent preſens à vôtre mémoire, & quelquefois même à vos entretiens, & que vous inſpirerez à ce jeune Héros les bons ſentimens qu’il doit avoir pour une Compagnie, qui ne ſouhaite que ſa gloire, & qui va bientôt s’employer à la répandre par toute la Terre. J’oſerois répondre, MONSIEUR, que vous en uſerez de la ſorte. Monſeigneur LE DAUPHIN n’apprendra point que ſon illuſtre Précepteur ait voulu entrer dans cette Compagnie, ſans en concevoir en même temps une haute idée ; & vous ne rencontrerez point une ſi favorable diſpoſition dans ſon eſprit, ſans en même temps l’appuyer, & la fortifier. Le bonheur de l’Académie nous a donné vôtre eſtime ; c’eſt à vous, MONSIEUR, à nous donner celle de Monſeigneur LE DAUPHIN ; & ainſi il ſe trouvera que cette heureuſe journée, en nous procurant un Confrere auſſi illuſtre que vous, nous aura procuré l’appuy d’un Prince auſſi puiſſant que vôtre Royal Diſciple.

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