Discours de réception de Jean Ballesdens

Le 16 janvier 1648

Jean BALLESDENS

Discours prononcé par Mr. BALLESDENS, lorſqu’il fut reçu en 1648 à la place de Mr. de Malleville.

 

MESSIEURS,

Si la place que vous m’avez fait l’honneur de me donner dans une ſi célébre Compagnie, ne devoit être poſſédée que par des perſonnes d’une ſuffiſance médiocre, la profeſſion particuliere que j’ay toûjours faite de vous honorer, vous obligeroit peut-être d’excuſer plus aiſément la hardieſſe que j’ay euë d’y prétendre.

Mais l’éloquence n’ayant point de Trône plus glorieux que celuy que vous avez élevé dans cette illuſtre Académie, l’entrée m’en devoit être plûtôt défenduë que permiſe ; & la gloire de luy avoir rendu mes hommages, en vous ſaluant ſur le ſeuil de cette porte, pouvoit être toute la recompenſe de mon ambition.

Cette Reine des eſprits demandoit un adorateur plus digne d’elle que je ne ſuis, & la mort qui luy a ravi l’un de ſes plus grands favoris en la perſonne de feu Monſieur de Malleville, a fait vacquer parmy vous une place qui devroit demeurer vuide, puiſque ſon merite ne ſçauroit trouver facilement de ſucceſſeur, & que vos chaires ne peuvent jamais être remplies ſi dignement que de vous-mêmes.

Neanmoins comme il n’y a point de Corps, qui ne ſoit compoſé de pluſieurs parties, dont les fonctions ne laiſſent pas d’être également utiles, pour être de différente dignité, de même cette Aſſemblée d’eſprits éminens peut ſans déroger à ſa réputation donner rang parmy vous à des génies moins élevez, pour exercer les divers emplois, auſquels elle eſt deſtinée.

C’eſt, MESSIEURS, ce qui me fait eſperer que peu que je réponde au merite de la place, qu’il vous a plû m’y accorder, vous ne me trouverez pas entierement inutile, pour ſervir à la ſtructure de ce ſuperbe Palais, que vous bâtiſſez à l’éloquence. Parmy les grandes richeſſes qu’un Roy d’Aſie faiſoit autrefois contribuer à ſes Sujets pour le bâtiment d’un Temple, il ne rejetta pas les plumes qu’un petit oiſeau luy preſenta ; & ſi la ſplendeur qui brille dans le corps du Soleil paroît encore dans les plus petites étoiles, une Académie ſi fameuſe peut ſans doute faire voir ſon éclat juſques dans les plus petits ſujets, ſur leſquels elle daigne répandre ſes lumieres.

Cela m’étant ſi connu, MESSIEURS, il ne ſe peut que je ne reſſente parfaitement l’obligation que je vous ay de cette faveur, & que je ne reconnoiſſe en même temps les remercîmens que je vous en dois faire.

Ce reſſentiment néanmoins ne me ſçauroit donner le moyen de m’acquitter d’un devoir, qui demanderoit un homme auſſi conſommé qu’un chacun de vous, MESSIEURS, dans les ſecrets des ſciences, & dans la politeſſe de notre langue.

En effet, lorſque j’ay vû Athenes & Rome raſſemblées en ce lieu : lorſque j’ay conſideré que vous faites entrer en conférence toutes les ſciences, & que j’ay découvert toutes les beautez des Langues étrangeres recueillies dans la nôtre par vôtre travail, j’ay crû ne pouvoir pas vous remercier comme j’y ſuis obligé, ſi je n’empruntois premierement de vous-mêmes les actions de graces que je vous dois rendre.

Toutefois bien que je ne ſois venu qu’à ce deſſein, vôtre abord m’a réduit à la même neceſſité, qui contraignoit les Égyptiens de ſe voiler le viſage, en ſacrifiant au Soleil, & je ne puis que baiſſer les yeux, & fermer la bouche devant des perſonnes qu’Apollon & les Muſes ont couronnées de toute leur gloire.

Que ſi ma vûë eſt trop foible, pour s’arrêter ſur tant d’illuſtres eſprits, qui forment ce Corps, comment la pourrois-je élever ſur celuy qu’elle a le bonheur d’avoir pour Chef, & qui par cet honneur qu’il luy fait, l’égale aux premiers ordres du Royaume.

Vous ne vous étonnerez donc pas, MESSIEURS, de mon impuiſſance dans cette occaſion, ni de l’aveu public que j’en ſais, bien que le ſilence que je ſuis contraint de garder ſe pût couvrir d’une pareille détente que celle que fit autrefois Auguſte, de parler publiquement ſans ſa permiſſion de la piété & de la juſtice, qui ne ſçauroient être trop admirées dans nôtre grand Chancelier.

Tout ce que je puis, c’eſt de ſuivre l’exemple de celuy qui ſe donna pour eſclave à Socrate, ſon Précepteur ; & de vous proteſter, en vous ſuppliant d’agréer le don que je vous fais de moy-même, que je vous reconnoîtray toûjours pour mes Maîtres, & que j’employeray le reſte de mes jours à vous témoigner que je fuis, MESSIEURS, Vôtre, &c.