Discours de réception de François-Henri Salomon de Virelade

Le 23 août 1644

François-Henri SALOMON de VIRELADE

Discours prononcé par Mr. Salomon le vingt-troisième Août 1644, lorſqu’il fut reçû à la place de M. de Bourbon

 

Messieurs,

Je ſouhaiterois, pour m’acquiter dignement du remerciment que je vous dois, qu’il me ſût aiſé de témoigner à toute cette illuſtre Compagnie ma reconnoiſſance, comme il me ſeroit difficile de moderer & diſſimuler la joye que j’ay d’y être reçû. Je puis dire avec verité, MESSIEURS, & vous le pouvez remarquer en moy, que cette paſſion qui ſe rend viſible dans les ſens, & qui ſe repreſente mieux, & s’explique plus efficacement & plus intelligiblement par les yeux que par la voix, me poſſede en telle ſorte, que j’ay preſque autant de peine à trouver des paroles pour vous rendre graces, qu’il m’eſt impoſſible d’en avoir de proportionnées à l’obligation que je vous ai, & à mon reſſentiment ; & ſi cet acte de devoir & de gratitude, dont je vous ſuis redevable aujourd’huy, n’avoit beſoin d’autre expreſſion ou démonstration exterieure, que les deſordres d’une joye exceſſive, ou la confuſion & le ſilence d’un modeſte reſpect, je croirois que vous pourriez être ſatisfaits, & je le ſerois moi-même de mon compliment. Mais puiſque la coûtume & la bienſéance ne me permettent pas de me taire, où j’ay un ſi juſte ſujet de parler ; que mon ſilence paſſeroit peut-être pour inſenſibilité ou ingratitude, je croi, MESSIEURS, que vous pardonnerez à ce premier effort, ſi je n’y employe d’autre ſtile, & ne ſuis d’autres regles que l’impetuoſité du mouvement interieur, plus capable d’affections puiſſantes, que d’ordre ou de préparation, qui me fait neanmoins connaître que je vous ſuis doublement obligé, & plus que je ne le ſçaurois dire, puiſque je le ſuis ſans merite, & qu’il m’en revient tant d’honneur.

Je ne me flatte pas, MESSIEURS, ſeulement de la gloire d’être dorenavant partie d’une Compagnie, qui eſt l’abregé & le recueil de tout ce que la raiſon peut produire d’excellent, & d’achevé quand elle eſt rectifiée par une meditation bien reglée, & qui a le plus purement découvert les regles que le bon ſens doit tenir, pour chercher & expliquer convenablement toutes les belles choſes, & qui a trouvé le ſecret de joindre la force du raiſonnement aux delicateſſes de l’élocution ; & que je pourrai me vanter d’avoir été admis dans une Aſſemblée, l’inſtitution de laquelle ne doit pas être eſtimée un des moindres, ni des moins durables ouvrages, dont ce ſiecle ſe peut glorifier, puiſqu’elle a reçû ſa forme par les ſoins d’un Grand homme, qui durant ſa vie n’a rien trouvé de difficile, & qui a laiſſé par tout après ſa mort de l’admiration & de l’étonnement de ſes hauts deſſeins ; & qu’encore à preſent cette Compagnie eſt ſous la protection de la même autorité, qui conſerve les loix de ce Royaume, & de celui qui d’un conſentement univerſel eſt l’Arbitre ſouverain de la droite raiſon & de l’éloquence, comme il eſt le dépoſitaire de la Souveraine juſtice. Je puis me prévaloir plus ſingulierement de cet avantage, parce que ſon approbation & ſon choix m’ont procuré une place, que ſans ſa recommandation je n’euſſe oſé prétendre après qu’elle a été remplie d’un homme, dont le nom célèbre vaut ſeul un éloge tout entier. Toutes ces conſidérations qui me ſont tres-cheres, & me touchent bien ſenſiblement, donnent lieu à un autre motif de la raiſon, duquel vous pouvez juger avec quelle eſtime je reconnois l’honneur que vous me ſaites, puiſque je le meſure par ma propre utilité & par mon profit particulier. Je dis, MESSIEURS, mon interêt particulier, & qui ne peut être commun à tous les autres qui ſont entrez en cette ſocieté, parce qu’il n’y en a pas un, qui dans cet agreable commerce d’eſprit & de vertu qui s’y pratique, n’y porte & ne mette preſque autant qu’il en peut tirer, & ne faſſe une eſpece d’échange & de trafic des notions, dont il eſt éclairé avec les lumières d’autrui qui lui ſont communiquées. Mais pour moi, qui ne viens que pour y apprendre, & qui n’oſerois produire qu’avec honte mes foibleſſes, je me trouve en l’état de ceux qui prétendent devenir riches, en recevant de toutes parts, & que leur indigence excuſe de ne rien donner. J’eſpere d’autant plus aiſément que cet avantage ne me ſera point envié, que c’eſt le ſeul moyen par lequel je puiſſe arriver à cette élévation & conformité d’eſprit, que la communication & participation de tous les nobles & vertueux exercices de l’eſprit a mis en ſi haut point en cette Compagnie. Je me ſens excité à préſumer cette faveur par la complaiſance, l’union, l’amitié, & la déférence réciproque qui ſe font admirer parmi vous, MESSIEURS, & qui mettent dans tous les cœurs comme dans les eſprits une égalité & une correſpondance à une même fin ſi parfaite, qu’il ſemble que le Genie, qui préſide aux belles Lettres, & celui qui forme les amitiez, ſe ſoient mutuellement établis en ce lieu, de même qu’en l’Academie d’Athenes, les Sages, qui en avoient l’entrée, érigerent & adoroient ſur un même Autel, les ſtatuës de Minerve & de l’Amour.

J’attens, MESSIEURS, & oſe vous demander cette grace, comme la continuation de celle que vos ſuffrages m’ont déja accordée, qu’étant admis dans vos Aſſemblées mes défauts ſoient excuſez par vôtre bonté ; & que puiſqu’ils n’ont pas été conſiderez quand ils me devoient donner l’excluſion formelle, vous ſouffriez qu’avec docilité je m’étudie à les corriger par la connoiſſance des bonnes qualitez & perfections de ceux qui compoſent cette Compagnie ; & que juſqu’à ce que le temps & le bien de vôtre converſation m’ayent appris à vous remercier de meilleure grace, je vous faſſe des proteſtations d’une façon groſſiere, mais veritable & ſincere de ma reconnoiſſance reſpectueuſe, & d’une obéiſſance ſoumiſe.