Rapport sur les concours de l'année 1901

Le 21 novembre 1901

Gaston BOISSIER

INSTITUT DE FRANCE

ACADÉMIE FRANÇAISE

SEANCE PUBLIQUE ANNUELLE

DU JEUDI 21 NOVEMBRE 1901

RAPPORT

DU SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE

SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1901

 

MESSIEURS,

C’était le tour, cette année, du concours de poésie, et l’Académie avait proposé pour sujet : le XIXe siècle. Elle demandait aux poètes d’adresser un lyrique adieu à cette grande époque qui assista d’abord à l’une des plus prodigieuses épopées de l’histoire du monde, et, après bien des agitations et des troubles, fut témoin d’une extraordinaire éclosion de découvertes scientifiques. Cette double gloire, ce triomphe de l’énergie et de la pensée ont heureusement inspiré l’auteur du manuscrit qui portait le n° 67.

Évoquant, la fable antique de Prométhée, le poète nous montre le feu du ciel, après avoir accompli, à travers les âges, son œuvre de guerre et de destruction, asservi enfin par le génie de l’homme, devenu l’agent essentiel de la civilisation, et préparant dans l’avenir la fraternité universelle ; beau rêve, qui peut-être n’est qu’un rêve, mais que le poète nous décrit en strophes d’un vol large et puissant, en vers sonores, où les images se pressent avec une telle abondance qu’on en est quelquefois ébloui et aveuglé.

L’Académie n’a pas hésité à décerner le prix à ce poème, que vous allez entendre, et c’est avec plaisir qu’elle a retrouvé dans son auteur le nom de M. Edmond Haraucourt, dont elle avait eu déjà l’occasion d’honorer le mâle talent.

Pour ne pas quitter la poésie, disons que le prix Archon-Despérouses, qui lui est spécialement réservé, a cette année, comme à l’ordinaire, attiré beaucoup de concurrents. Dans le nombre, je dirai presque dans la foule des poètes qui se présentaient à nos suffrages, nous en avons distingué plusieurs, et surtout M. Albert Mérat. Le cas de M. Mérat est tout à fait particulier et intéressant. Il débuta dans les lettres vers 1865, avec le groupe de poètes qu’on appela les Parnassiens. Ce début frappa l’Académie, qui l’encouragea par une de ses récompenses. Dans les recueils de vers, d’une inspiration souple et variée, qu’il donna au public à cette époque, il se plaisait surtout à conter ses promenades de rêverie et d’observation aux environs de Paris et à en décrire les gracieux paysages. C’est là qu’il excelle ; sa plume est la sœur du pinceau de Corot et de Daubigny ; il est, on peut le dire, le poète de l’Ile-de-France. Tout d’un coup, en plein succès, il cessa de publier et garda le silence pendant trente ans. Mais ses amis avaient tort de le croire las ou découragé, car voici qu’il nous donne aujourd’hui deux nouveaux volumes et qu’il en annonce un troisième ; et, chose tout à fait remarquable, non seulement la source n’est pas tarie, mais elle a conservé sa fraîcheur. Avec la même grâce, le même charme, le même accent de jeunesse, le poète s’est remis à chanter son cher Paris et sa verte ceinture de campagne. Comment n’aurions-nous pas félicité M. Mérat de sa touchante fidélité à la poésie et du don précieux et rare qu’il a de ne pas vieillir ?

C’est à la poésie que le prix Vitet a été attribué cette année. L’Académie, en le dormant à M. le vicomte André de Guerne, a voulu attirer l’attention sur une œuvre poétique considérable, qui, si elle n’est pas toujours faite pour plaire au grand public, n’en est pas moins recommandable par la force des conceptions et la noblesse du langage. Nous avons décerné, il y a quelques années, le prix Archon-Despérouses à ses deux premiers volumes, les Siècles morts, dont son illustre maître, Leconte de Lisle, faisait grand état. Nous lui devions une récompense nouvelle pour ses deux recueils lyriques, le Bois sacré, et Flûtes alternées, où il a pu, dans une forme plus souple et plus variée, développer plus à l’aise sa personnalité, tout en conservant les qualités de science et de grandeur qui ont fait le succès de ses premiers ouvrages.

M. Alexandre Parodi n’a survécu que quelques semaines à la décision de l’Académie qui lui attribuait le prix Lambert. C’était un des derniers amoureux de la vieille tragédie. Il a essayé de la faire revivre dans des drames en vers sue traversent parfois des souffles cornéliens. Ses pièces n’obtinrent pas toujours le succès qu’elles méritaient d’avoir, mais ni les difficultés qu’il éprouvait pour les faire jouer, ni la froideur du public qu’attiraient des spectacles d’un ordre moins relevé, ne parvinrent jamais à le décourager. C’était un homme énergique et convaincu, qui avait l’âme des héros qu’il a mis sur la scène. La mort l’est venue prendre travaillant sans défaillance à l’œuvre laquelle il avait dévoué sa vie. L’Académie se félicite d’avoir pu témoigner son estime pour cet obstiné qui, malgré tout, jusqu’à la fin, resta fidèle à l’une des plus nobles formes de l’art.

Quand j’aurai dit que le prix Toirac, réservé à la meilleure pièce jouée, dans le courant de l’année, au Théâtre-Français, a été accordé à l’Alkestis, imitée de la tragédie d’Euripide, par M. Rivollet, j’aurai achevé ce qui concerne la poésie.

La prose nous retiendra plus longtemps, trop longtemps peut-être à votre gré. Mais, que voulez-vous ? le nombre de nos lauréats est si considérable que, même en me résignant à n’en mentionner que quelques-uns et à laisser le reste dans l’ombre, et qui n’est guère équitable, je risque d’abuser de votre patience.

Les romans, par exemple, nous arrivent tous les ans en plus grande abondance. Le concours Montyon les attire : ce qui est fort naturel, car une fiction romanesque est un moyen commode de faire passer la morale. Parmi ceux que nous couronnons cette année, deux nous ont surtout paru dignes d’être signalés à votre attention, Française du Rhin, par M. Charles de Rouvre, et La mort de Corinthe, par M. André Lichtenberger. Tous les deux reposent sur le même sentiment, l’un des meilleurs de l’âme humaine, et qui est la source ‘des plus belles actions, le patriotisme. M. Lichtenberger a dépeint l’héroïque folie de ces derniers Grecs, qui, ne se résignant pas à l’inévitable, comme le leur conseillait Polybe, voulurent faire à leur patrie des funérailles dignes d’elle. Il nous fait assister aux dernières convulsions de la ville assiégée ; il nous montre, dans des tableaux saisissants, ce que nous a du reste appris une triste expérience, que les haines politiques survivent au péril commun, et qu’on trouve moyen de se déchirer entre soi, à la veille de périr tous ensemble. Ce que nous raconte M. de Rouvre est, hélas ! plus près de nous. Il s’agit de blessures qui saignent encore dans nos cœurs et auxquelles vous me permettrez de ne pas toucher. En nous rappelant des souvenirs qu’il serait impie d’oublier, et sans nous bercer d’illusions, qu’il serait dangereux d’entretenir. M. de Rouvre a écrit un bon livre qu’un Français ne peut pas lire les yeux secs.

Ai-je raison de placer tout près des romans l’ouvrage de M. Bédier, sur Tristan et Yseut ? J’ai bien peur que M. Gaston Paris, qui a écrit la préface de ce livre charmant, ne me le permette pas. « C’est bien un poème, nous dit-il, quoiqu’il soit écrit en belle et simple prose. » Disons, pour mettre tout le monde d’accord, que, comme l’Odyssée d’Homère, c’est à la fois un poème et un roman. Ce conte d’amour et de mort, comme il s’appelle lui-même, a passionné tout le moyen âge. On lui a donné tour à tour toutes les formes et toutes les dimensions, on l’a traduit dans toutes les langues. Le hasard a voulu que, de toutes ces versions, en prose et en vers, en français et en allemand, aucune ne nous soit parvenue tout entière. Il n’en reste que des fragments, qui diffèrent entre eux d’étendue et de caractère. De tous ces débris M. Bédier a entrepris de faire un ensemble qui fût complet et homogène, et il y a réussi. La merveille, c’est qu’il soit parvenu à donner à cette œuvre composée de pièces rapportées une unité parfaite. Tout s’y tient et s’y lie ; pas une idée, pas un mot ne nous jette hors de l’époque où il a voulu nous transporter. Sans qu’on sente jamais la gêne et l’effort, il s’est fait le contemporain de l’histoire qu’il nous conte et des auteurs qui nous l’ont transmise. On a pu dire que c’était à la lettre un poème du XIIe siècle écrit à la fin du XIXe.

Parmi nos prix littéraires vous savez que nous avons établi une différence. Les uns sont décernés à la demande des auteurs, qui adressent leurs livres à nos concours. Pour les autres, aucun ouvrage n’est envoyé, aucune demande n’est faite ; tout est livré à notre initiative. Dans le premier cas, les écrivains viennent à nous, et c’est nous, dans l’autre, qui allons vers eux. Naturellement, notre choix se porte sur ceux que nous désigne l’opinion publique, et comme ils sont plus connus, j’ai moins besoin de vous les faire connaître. Vous ne serez donc pas surpris que, bien qu’ils soient les plus glorieux de nos lauréats, je passe plus vite sur eux que sur les autres et que je me contente de les mentionner.

En donnant le prix Calmann-Lévy à M. Paul Perret, c’est toute une vie d’honorable travail que nous avons voulu récompenser. Nous avions déjà couronné plusieurs de ses ouvrages en particulier ; cette fois le prix s’adresse à l’œuvre entière. — M. René Doumic est un écrivain vaillant, infatigable, toujours sur la brèche. Il connaît les choses dont il parle, et ce n’est pas un mérite commun ; quoique très ferme dans ses opinions, il a l’esprit assez large pour comprendre celles qu’il ne partage pas. L’Académie lui sait gré surtout de ne pas faire comme tant d’autres pour qui la critique n’est qu’un échange de complaisances mutuelles, une façon de payer leurs dettes d’ami ou d’assouvir leurs jalousies d’homme de lettres. — M. Ardouin-Dumazet a pensé que nous avions le tort d’ignorer notre pays et d’aller chercher bien loin ce que nous trouverions sans peine chez nous. Il croit qu’en le connaissant mieux nous l’aimerions davantage, et il s’est donné la tache de nous le taire connaître. Les vingt-trois volumes de descriptions et d’études qu’il a publiés sur la France nous ont paru une œuvre utile, considérable, et qui méritait particulièrement d’être récompensée. — Quant à Mme Arvède Barine, que dire d’elle, sinon qu’elle a bien eu raison de ne pas s’être enrôlée parmi les femmes qui réclament, avec tant d’insistance et d’aigreur, les privilèges des hommes : car vraiment elle n’a rien à nous envier. Ses ouvrages prouvent, que par l’étendue des connaissances et la fermeté de l’esprit, elle ne le cède à personne. Mais en se donnant les qualités de notre sexe, elle a eu grand soin de ne pas renoncer à celles qui sont l’ornement du sien. C’est par la délicatesse des sentiments, la mesure, la grâce, que se distinguent surtout ses Portraits de femmes, qui sont peut-être son meilleur ouvrage ; et dernièrement encore, après avoir tracé, d’une plume vigoureuse et virile, des portraits de névrosés, elle nous a donné, dans son François d’Assise, un pendant à sa gracieuse figure de Sainte-Thérèse. Le nom d’Arvède Barine a paru déjà plusieurs fois dans nos listes de lauréats ; mais, comme elle ne s’arrête pas de produire de bons ouvrages, personne ne s’étonnera y reparaisse aujourd’hui. Puisqu’elle ne peut pas être de ceux qui décernent les prix aux autres, l’Académie est heureuse de la mettre parmi ceux qui les reçoivent.

Les ouvrages qui traitent de l’histoire littéraire sont fort nombreux dans notre liste. Je ne pourrai parler que de quelques-uns, et en quelques mots. Celui qui nous ramène le plus loin en arrière, en suivant l’ordre des temps, est le livre que M. H. Ouvré appelle Les formes littéraires de la pensée grecque Les Grecs, les Romains, il y a donc encore des gens qui s’en occupent ! — M. Ouvré, qui ne me paraît avoir qu’une estime médiocre pour la littérature latine, est au contraire un fervent des lettres grecques. Il a cherché, par des analyses subtiles, à découvrir les lois de la naissance et du développement des différents genres que la Grèce a cultivés. Son ouvrage est un effort vigoureux pour aller, dans cette étude, plus loin qu’on a fait avant lui : malheureusement, l’effort y paraît. L’auteur s’est volontairement enfermé dans les abstractions et les formules, il a mis une sorte de coquetterie à ne pas égayer ses raisonnements par des citations. Il semble tenir à nous faire une route difficile vers cet aimable génie. Mais quelque peine qu’on trouve parfois à le suivre, on ne le suit pas sans profit. Il pense et fait penser, c’est beaucoup ; et l’on ne peut s’empêcher, quand on le lit, d’être ému de cette passion sincère qu’il ressent pour les poètes et les penseurs de la Grèce, tout en regrettant qu’il n’ait pas cru devoir éclairer plus souvent son œuvre des pures et transparentes clartés du ciel de l’Attique.

L’époque de la Renaissance nous a donné plusieurs bons ouvrages, parmi lesquels deux surtout nous ont paru dignes d’être distingués. M. Paquier s’est occupé de Jérôme Aléandre, le grand humaniste du XVIe siècle. Quoique né en Italie Aléandre, nous appartient par le séjour qu’il a fait chez nous. Il est l’un des premiers qui aient enseigné à Paris les lettres grecques et latines. Quand il expliquait Platon ou Cicéron au collège de Cambrai, les salles ne suffisaient pas à contenir ses auditeurs. Ils refluaient sous les portiques, recueillant ses paroles par les fenêtres ou les portes entr’ouvertes. On nous dit que, bien que la leçon durât près de trois heures, personne ne quittait la place, et que, même après qu’elle était finie, les auditeurs ne pouvaient se résigner à retourner chez eux : c’était l’âge d’or de l’enseignement. L’érudition alors menait à tout. Elle fit d’Aléandre un diplomate et le mêla aux plus grandes affaires du siècle ; Léon X le mit aux prises avec Luther, à la diète de Worms. M. Paquier raconte ce débat avec une remarquable impartialité, et de son récit ressort que l’érudit n’était pas à la taille du réformateur, qu’il ne comprit pas toujours la gravité du mouvement qu’il allait combattre, et qu’il avait trop de penchant à croire qu’on pouvait l’arrêter avec de belles phrases et de petits moyens.

M. Broussolle, qui a écrit un ouvrage sur La jeunesse du Pérugin, est un admirateur passionné des peintres de l’École ombrienne. Il ne s’est pas contenté d’admirer leurs tableaux dans les musées : les musées lui semblent des nécropoles, et il pense que, pour avoir la sensation véritable et complète d’une œuvre d’art, il faut l’étudier dans les lieux pour lesquels elle était faite. Il a donc été voir l’Ombrie, plutôt en pèlerin qu’en voyageur ; il en a visité pieusement les plus petites églises, cherchant, sur les autels, les restes de ces retables qu’ont peints les maîtres du XVIe siècle, dans les sacristies, les bannières qu’ils ont faites pour les confréries, le long des murs, les fresques que le temps ou le badigeon n’ont pas entièrement effacées. Il a parcouru les plus modestes villages, s’arrêtant à regarder, au-dessus des portes, au coin des rues, des peintures de dévotion, abritées sous une niche, protégées par un auvent, avec la petite lampe qui brûle pour les honorer, et il nous dît que ces ébauches d’artistes inconnus lui ont quelquefois procuré de délicieuses surprises. Si M. Broussolle s’était contenté de nous donner un travail sur les peintres ombriens, peut-être aurions-nous renvoyé son ouvrage au prix Charles Blanc, que nous devons donner l’an prochain ; mais il a tiré de ses études toute une théorie de la peinture chrétienne, et c’est pour elle en réalité que son livre est écrit. Il y soutient que, tout en obéissant aux inspirations de la foi, elle ne doit pas se désintéresser des règles de l’art, qu’il n’est pas indispensable, pour reproduire la naïveté des œuvres primitives, d’en copier les incorrections, qu’il faut d’abord étudier la nature pour arriver à la dépasser, et atteindre ce qui est au-dessus d’elle, que, sous prétexte de peindre les âmes, on n’a pas le droit de négliger les corps dans lesquels elles habitent. Ces préceptes ne sont pas nouveaux ; mais, puisqu’il y a des écoles qui les contestent ou les oublient, il est bon de les répéter.

Le livre de M. Le Bidois, La vie dans la tragédie de Racine, répond à des reproches qu’on lui faisait déjà de son temps, et qu’il faut toujours réfuter, car il y a des gens qui les lui font encore. On trouvait ses pièces vides et maigres, quand on les comparait à celles de Corneille : « La matière lui manque », disait insolemment Segrais. Ses personnages semblaient, et semblent encore à quelques critiques, des êtres d’abstraction et non des individus. On dit aussi qu’ils parlent plus qu’ils n’agissent, que tout se passe chez lui en conversations et en tirades. Je ne puis reprendre ici les arguments ingénieux et souvent nouveaux que M. Le Bidois oppose à ces attaques. La meilleure preuve que la vie ne manque pas aux pièces de Racine, c’est qu’elles vivent, qu’on ne cesse pas de les lire, de les admirer, et même de les applaudir, quand il se trouve des acteurs qui savent les jouer. Quel triomphe pour elles qu’on puisse encore les entendre au théâtre après deux siècles, quand nous voyons ce que deviennent la plupart des nôtres après quelques années !

M. Ducros a écrit, sur les Encyclopédistes, une livre de bonne foi et qui nous manquait. Quand on rencontre aujourd’hui, dans quelque bibliothèque de campagne, ces trente-cinq énormes volumes de l’Encyclopédie, tout rongés de poussière, on a grand’peine à imaginer le bruit qui s’est fait et les batailles qui se sont livrées autour d’eux, il y a un siècle et demi. M. Ducros a entrepris de réveiller ces grands débats de leur profond sommeil. Il nous dit comment l’œuvre fut conçue, les vicissitudes qu’elle a traversées, dans quel esprit elle est faite, quels sont les écrivains qui y travaillèrent, non seulement les chefs, Diderot, d’Alembert, qui en eurent l’honneur, mais les ouvriers obscurs et laborieux, ces manœuvres sans lesquels les ouvrages de ce genre ne se finiraient jamais. Cette histoire est racontée d’une manière intéressante par M. Ducros. Peut être trouvera-t-on qu’il la fait commencer un peu trop haut, à la Renaissance et à la Réforme, et qu’il la pousse un peu trop loin, jusqu’à la Révolution. Elle lui a servi de prétexte à exposer et à discuter les doctrines philosophiques du XVIIIe siècle, travail qui, à lui seul, demanderait bien un volume entier.

Nous voici venus à notre époque, et quel que soit notre respect pour les grands écrivains d’autrefois. Il nous est bien permis d’avouer que nous sommes encore plus curieux d’entendre parler de ceux d’aujourd’hui. Aussi avons-nous trouvé un grand plaisir à lire le livre de M. V. Giraud sur Taine, L’antiquité imaginait que les morts, avant d’arriver à leur demeure définitive, devaient traverser un fleuve et qu’il leur est difficile de le franchir. C’est une très juste image de ce qui arrive à la réputation des écrivains illustres dès qu’ils ont cessé de vivre. Eux aussi, ils ont à passer le fleuve, et ils ne parviennent pas tous à mettre le pied sur l’autre bord. Combien en avons-nous vus, de ceux qui faisaient une grande figure dans le monde, que l’oubli a pris presque au lendemain de leur mort, et peut-être pour ne plus les quitter ! Il n’en est pas ainsi de Taine ; je crois bien, au contraire, qu’il n’a jamais été plus vivant que depuis que nous l’avons perdu. À l’étranger, comme chez nous, son influence parait avoir grandi, et presque en même temps deux livres ont paru, en Italie et en France, dont il est le sujet et où l’on s’occupe de ses ouvrages et de ses idées. Celui de M. Giraud a cet intérêt de nous montrer dans Taine certains côtés que le public a moins connus. Assurément. en insistant sur ce qu’il y avait chez lui de bon, d’affectueux, de tendre, on n’apprend rien à ses vieux amis, qui ont eu l’honneur et la joie d’être associés à toute son existence, qui l’ont suivi fidèlement depuis l’École normale jusqu.au dernier jour ; mais ceux qui ne l’approchaient pas pouvaient être trompés par l’apparence. Ils verront, dans le livre de M. Giraud, combien ce penseur austère, et un peu dédaigneux, qui, vu de loin, semblait ne vivre que pour les idées, faisait naître d’affections autour de lui, et que d’amis dévoués a comptés ce solitaire. Une autre observation de M. Giraud qui n’est ni moins nouvelle, ni moins juste, c’est que Taine n’était pas, autant qu’on l’imagine, un de ces esprits systématiques, enfermés dans opinions préconçues, et qui se raidissent contre l’expérience. Elle a quelquefois modifié ses sentiments, et il n’en a jamais fait mystère. M. Giraud a raconté la crise qu’il subit en 1870, « lorsque plein d’une immense pitié pour le pays dont il se sentait le fils, et qui se débattait pour ne pas mourir, il se dit que les temps étaient finis de la science pure et de la spéculation désintéressée, et qu’il fallait avant tout aider la France à revivre d’une vie qui fût digne de son passé. » De ces préoccupations nouvelles sont sorties les Origines de la France contemporaine, qui est le plus beau peut-être, certainement le plus populaire de ses ouvrages. L’Académie remercie M. Giraud de l’étude si sincère, si sympathique, qu’il nous a donnée sur l’un des hommes qui lui font le plus d’honneur, et qu’elle a le plus aimé.

L’étude sur Taine nous a rapprochés de la philosophie. Nous y sommes en plein avec le livre de M. Ruyssen sur Kant. Vous ne vous attendez pas que je vous parle beaucoup de ce savant ouvrage. Ma parfaite incompétence ne me permet pas de le juger. Tout ce que j’en puis dire, c’est que les matières en paraissent bien ordonnées, qu’il est écrit avec élégance et distinction. Ce sont là des qualités françaises, et que l’Académie peut toujours récompenser sans se compromettre.

Je me sens plus à l’aise pour parler de ce que M. Henry Fouquier appelle la philosophie parisienne. Il ne s’agit plus ici de la raison pratique ou de la raison pure, ni de l’impératif catégorique, mais de cette sagesse légère, souriante, qu’on puise au spectacle de la vie, et qui s’inspire surtout de ce qu’on appelle d’un mot qui forcera les portes du dictionnaire, l’actualité. M. Fouquier ne va pas chercher ses sujets bien loin. Avec ce qui se fait, ce qui se dit tous les jours, une aventure qui se raconte, un bon mot qu’on colporte, une pièce qui se joue, un procès qui se plaide, il compose de courts articles, finement écrits, et qu’il assaisonne de réflexions sensées. Après qu’ils ont amusé les lecteurs d’un journal quotidien, il en fait un livre, et le livre se lit comme les articles. Puisqu’il leur a donné le titre de philosophie, j’ai bien envie d’en tirer une leçon. Quand je vois combien la plupart de ces incidents, qui servent de thème aux réflexions de M. Fouquier, sont vite oubliés, et l’effort qu’il faut faire pour s’en souvenir, quand on les retrouve dans son livre, j’en conclus qu’il est sage, lorsqu’ils se produisent, de ne pas les prendre trop au sérieux. La presse enfle la voix en les racontant, pour leur donner de l’importance : c’est son gagne-pain d’éveiller par ses exagérations la curiosité du public. Gardons-nous bien de nous en émouvoir. Ces faits du jour, comme on les appelle, ne vivent en effet qu’un jour ; et, après que, dans ce court espace de temps, ils ont fait couler beaucoup d’encre et perdre beaucoup de paroles, personne n’y songe plus le lendemain.

M. Talmeyr a fait comme M. Fouquier : il a réuni quelques études détachées dans un volume qu’il intitule : Tableaux du siècle passé. Ne nous laissons pas tromper par le titre ; le siècle passé est celui qui vient de finir il y a quelques mois, et par conséquent, avec M. Talmeyr aussi, nous ne sortons pas de l’actualité. La cité du sang, dont il nous fait les honneurs, est simplement l’abattoir de la Villette, avec ses dépendances : il dépeint nos petites villes de province comme elles sont aujourd’hui, et les marchands de vin, dont il nous parle, sont ceux qui aideront à faire les élections de l’an prochain.

C’est encore de choses actuelles que nous entretient M. Adolphe Brisson, dans ses Portraits intimes : il semble même qu’il en ait fait son métier. On le regarde comme l’un des plus amusants et des plus habiles de nos reporters, — la chose étant nouvelle, il faut bien se servir d’un mot nouveau pour la désigner. — Dès qu’un événement a mis quelqu’un en évidence. M. Brisson va le trouver. Il n’a pas besoin de dire ce qu’il dent faire. À peine celui qu’il vient interroger l’a-t-il aperçu qu’il se met à lui parler de son passé, de son présent, de son avenir : il en parle avec abondance : on est toujours un peu long quand il s’agit de soi-même. On pense bien qu’il se garde de dire du mal de lui, quoiqu’il n’ose pas en dire tout le bien qu’il en pense. Avec ces confidences, qu’on fait à lui seul, pour que tout le monde les sache, M. Brisson compose de petits récits fort agréables, que le public a grand plaisir à lire.

Je crois bien que j’ai eu tort de prétendre tout à l’heure que le métier de reporter est nouveau ; il ne l’est que sous sa forme actuelle ; mais d’une façon générale, on peut dire qu’il est aussi ancien que l’indiscrétion et la curiosité, ce qui le fait remonter à la création du monde. Ce serait une étude piquante de chercher par quels moyens on a essayé, aux diverses époques, de satisfaire le besoin impérieux qu’on éprouve d’être informé. Pour ne pas remonter au delà d’un siècle, rappelons qu’il y avait vers 1810 un homme d’esprit, M. de Jouy, Parisien forcené, quoiqu’il eût couru le monde entier et servi dans les armées de Tippoo-Saïb, qui conçut le projet de faire connaître Paris aux étrangers et aux Parisiens, qui le connaissent encore moins que les étrangers. Toutes les semaines, il adressait à un journal une lettre qu’il signait : l’Ermite de la Chaussée d’Antin. — Il paraît que, dans le quartier de la Chaussée d’Antin, il y avait en ce temps-là des ermites, qu’on pouvait s’y faire une solitude, et qu’on trouvait à s’y loger confortablement pour cent écus. — De là, tous les jours, à cinq heures du matin en été, à sept heures en hiver, notre ermite descend dans la ville. Il visite successivement tous les quartiers, le matin, les Halles, plus tard, le jardin Turc, les maisons de jeu du Palais-royal ; il entre au café de Foy, « où il entend raisonner et déraisonner sur la politique» ; au bon du jour, il fait un tour au bois ; il passe sa soirée à l’Opéra, à Feydeau, au Théâtre-Français. Partout, il recueille ce qu’il entend, il note ce qu’il voit et il en compose des bluettes littéraires « qui ne sont faites, dit-il, que pour amuser le public pendant qu’il déjeune, ou l’endormir quand il se couche ». Mais ces bluettes deviennent des événements ; on les attend tous les samedis avec impatience ; on s’arrache le journal où elles paraissent ; elles sont traduites dans toutes les langues, si bien que M. de Jouy devient riche, entre à l’Académie, et, quand il meurt, nous laisse par son testament de quoi fonder un prix, pour qu’il se trouve des écrivains qui continuent ce qu’il a fait lui-même. C’est ce prix que l’Académie décerne à M. Adolphe Brisson, convaincue que M. de Jouy l’aurait avoué pour l’un de ses successeurs et de ses élèves.

Je vous ai prévenus, Messieurs, que la littérature nous retiendrait longtemps : elle était, cette année, d’une richesse exceptionnelle. Il faut arriver à l’histoire, qui n’est guère moins riche, et d’abord au prix Gobert, le plus important et le plus recherché de nos prix historiques.

L’Académie a décerné le second prix Gobert aux six volumes de M. Legrelle, sur la diplomatie française et la succession d’Espagne. Érudit solide, patriote ardent, travailleur infatigable. M. Legrelle a été enlevé prématurément à la science. Il a vécu assez pour accomplir une œuvre considérable, trop peu pour en recueillir les fruits.

Quant au premier prix, la Commission a été unanime à demander qu’il fût attribué au Père Baudrillart, pour son livre sur Philippe V et la France. C’est la seconde fois qu’il l’obtient. L’Académie a trouvé dans le quatrième et le cinquième volume de ce bel ouvrage les mêmes qualités qui l’avaient frappée dans les trois premiers ; et si la fin en a paru un peu moins intéressante que le commencement, la faute n’en est pas à l’auteur, mais à son sujet qui n’est plus guère, dans sa dernière partie, qu’un tissu de négociations enchevêtrées. Pour se reconnaître au milieu de ce verbiage diplomatique, et nous le faire comprendre, M. Baudrillart, outre les documents publiés, qui sont en abondance, a dû étudier, analyser, mettre en fiches, la très riche collection des papiers d’État d’Alcala et de Simancas, et, aux archives de notre Ministère des Affaires étrangères, cent quarante-quatre volumes de correspondances et de mémoires. Il est merveilleux qu’il ait pu porter si légèrement le poids de cet énorme labeur. Arrivé au terme de son travail, M. Baudrillart se sent pris d’un sentiment d’inquiétude. Il se demande si c’était bien la peine de se donner tant de mal pour faire revivre une aussi triste époque et de si médiocres personnages. Il rappelle ce mot d’Alberoni : « qu’il suffit de voir les gens qui mènent le monde, et la façon dont ils le mènent, pour être convaincu que c’est Dieu qui gouverne, et non pas eux ». Il marque surtout la disproportion entre les efforts dépensés et les résultats obtenus. À quoi ont abouti, en effet, ces combinaisons savantes de la diplomatie, ces guerres, ce sang versé, cet argent prélevé sur tant de misères ? Ces réflexions de M. Baudrillart, ce besoin qu’il semble éprouver de justifier son travail, lui font grand honneur ; ils montrent qu’il domine son sujet, qu’il le juge à son exacte valeur, au lieu de faire comme tant d’autres, qui le mesurent à la peine qu’ils se sont donnée pour le traiter. Mais, en somme, démontrer qu’une combinaison politique, qui parut très brillante lorsqu’elle fut conçue, en 1659, s’est révélée être vaine, un siècle plus tard, et même fâcheuse, que tant de génie ou d’esprit, et d’argent, et de force, et de sang, ont été dépensés en pure perte, cela est encore une leçon de l’histoire. Elle en donne beaucoup de cette sorte, et il est utile de les recueillir.

Nous avons décerné la meilleure part du prix Thérouanne au livre de M. Bloch, intitulé : Les origines de la France, la Gaule indépendante, la Gaule romaine. Il y a quelques années, la première partie de cet ouvrage aurait été très facile à faire. On savait fort peu de choses de cette époque primitive ; elle est mieux connue aujourd’hui, ou, du moins, elle a été beaucoup plus étudiée. C’est devenu un travail, et qui n’est pas aisé, de résumer toutes ces recherches, de choisir entre ces hypothèses, et de former un ensemble lumineux de toutes ces lueurs incertaines. Avec l’arrivée des Romains, le jour se lève. L’admirable livre de César nous apprend comment ils ont conquis la Gaule. Mais aussitôt se pose une question délicate, dont les historiens anciens ne paraissent pas s’être occupés : comment, après une si vigoureuse résistance, est-elle devenue si vite et si franchement romaine ? M. Bloch pense que c’est parce qu’elle fut bien gouvernée, ce qui ne lui était pas arrivé jusque-là. L’administration romaine, au moins aux bonnes époques, avait ce mérite. qui, même aujourd’hui, n’est pas commun, d’être peu exigeante et pas du tout tracassière. Elle ne gênait pas la liberté des municipes, intervenait le moins possible dans leurs affaires, respectait les préjugés religieux et les vanités locales, employait très peu de fonctionnaires et encore moins de soldats. Quelques troupes de police et le bruit lointain des régions campées à la frontière suffisaient pour maintenir dans l’ordre un peuple léger, glorieux, frondeur, ami du changement, mal disposé pour l’autorité, et dans lequel nous n’avons pas de peine à nous reconnaître. La paix amena bientôt la richesse dans ce pays qui ne demande qu’à être tranquille pour devenir florissant. M. Bloch décrit la prospérité dont il a joui sous les Césars, sous les Antonins, sous les Sévères : c’est la meilleure partie de son ouvrage. Il nous montre le paysan gaulois, cet admirable paysan que nous connaissons aussi, qui défriche les forêts et plante les vignes, les qui se décorent de monuments dont les ruines font l’admiration, la bourgeoisie qui se polit et se civilise, qui, les yeux fixés sur Rome, se tient au courant des dernières modes, lit les discours de Pline et chante des vers de Martial, pendant que, sous la conduite des ingénieurs romains, se construisent ces indestructibles chemins, dont le réseau dressé par Agrippa est si bien conçu qu’il subsiste aujourd’hui en ses grands traits dans nos routes nationales et nos voies ferrées. Le livre de M. Bloch n’est pas un ouvrage isolé : il ouvre la grande histoire de France qui se publie sous la direction de notre confrère, M. Lavisse. C’est un début qui est de nature à nous faire bien espérer de l’œuvre qui doit le suivre.

Vous trouverez, sur la liste qui vous a été distribuée, beaucoup d’autres ouvrages historiques que nous couronnons dans nos divers concours. Le temps me manque pour parler de tous comme ils le méritent ; je me contenterai, de faire de quelques-uns une courte mention.

C’est la Vie de Samuel Champlain, le fondateur de Québec, par M. Gabriel Gravier, un Normand, qui étudie avec passion l’histoire de sa province, et qui est heureux de nous apprendre que les marins de son pays ont devancé, en Amérique, ceux qui passent pour lavoir découverte. — C’est La Flandre maritime et Dunkerque sous la domination française, de M. de Saint-Léger, étude très riche en documents d’archives sur les pays que nous donna la paix des Pyrénées et sur le régime qui leur fut appliqué par le gouvernement royal. M. de Saint-Léger a parfaitement décrit cette organisation particulière, qui montre que l’ancienne monarchie, si elle voulait le alité dans l’obéissance, ne prétendait pas imposer l’absolue uniformité. —M. le capitaine J. Collin, attaché à la section historique de l’état-major de l’armée, a entrepris de résoudre un problème qui, jusqu’à présent, est resté obscur : de quelle manière s’est faite l’éducation militaire de Napoléon ? Il avait reçu, dans les écoles qu’il fréquenta, une instruction technique suffisante pour devenir un bon capitaine d’artillerie ; mais les quatre ou cinq cents volumes qu’il lut, annota et résuma de 1785 à 1792 (on en sait les titres), sont tout à fait étrangers à la stratégie. Comment donc s’est-il fait que soudain, en 1793, il se soit révélé praticien et théoricien de la guerre : praticien, par la part décisive qu’il prit au siège de Toulon ; théoricien, par sa note sur une campagne en Italie, où il formule déjà les principes fondamentaux de sa tactique future ? M. Collin a tenté de nous l’apprendre. Le problème est-il définitivement résolu ? Vous comprenez que ce n’est pas moi qui puis le dire. Ce que je sais, c’est que M. Collin l’a très nettement posé et que la solution qu’il en donne paraît à un profane très vraisemblable. — M. Isambert nous entretient de l’indépendance grecque et de la part que l’Europe y a prise. Il ne faut pas chercher clans son livre le récit détaillé des événements qui ont fait battre le cœur de nos pères et qu’ont chantés lord Byron et Victor Hugo. On y trouve quelques pages à peine sur les massacres de Chio, la destruction de la flotte ottomane ou le siège de Missolonghi. En revanche, les négociations, les protocoles, les traités y tiennent une grande place. C’est une histoire diplomatique, très complète, fort exacte, pleine d’intérêt et de vie, de la fondation du royaume de Grèce. Elle est de nature à encourager les honnêtes gens qui, malgré tant de mécomptes, nourrissent, toujours l’espoir de voir les affaires humaines se décider dans les conseils des sages plutôt que sur les champs de bataille.

Les deux volumes de M. L. Madelin sur Fouché nous arrêteront davantage. Ils ont conquis d’emblée l’attention du public, et ils le doivent sans doute au talent de l’auteur, mais aussi à la hardiesse, d’aucuns diront peut-être au scandale du sujet. Ce n’est pas que M. Madelin ait tenté de réhabiliter son héros ; la tâche serait difficile. Il est trop évident que Fouché n’avait aucun principe politique et qu’il n’a jamais songé qu’à lui-même. La première fois qu’il eut à prendre une résolution grave, dans la nuit du 16 janvier 1793, entre le discours qu’il avait préparé la veille pour défendre le roi et celui qu’il prononça le lendemain pour le condamner, il ne se demanda qu’une chose : « De quel côté ferai-je plus vite ma fortune ? » Le livre de M. Madelin prouve que c’est la seule question qu’il se soit posée dans sa vie. Quand il s’était décidé, il marchait, devant lui, jusqu’au bout, sans éprouver de scrupule ou de remords : ce fut sa force. Engagé dans le parti révolutionnaire, il se dit qu’il ne pouvait s’y faire remarquer qu’en allant plus loin que les autres. Il se fait donc envoyer en mission ; il terrorise les départements du centre ; pour simplifier la besogne, sur la place des Brotteaux, entre deux fossés tout prêts à recevoir les morts, il mitraille les condamnés de Lyon ; et remarquons bien qu’il n’a pas cette excuse, dont on s’est servi pour d’autres, d’avoir subi cette sorte de contagion ou de vertige dont il était alors difficile de se défendre. Cette âme froide, maîtresse d’elle-même, n’était guère susceptible de ces entraînements, aucune n’a moins ressenti l’ivresse de la Révolution. Ce qui prouve qu’il était de sang-froid quand il faisait guillotiner les gens de Nevers et qu’il mitraillait ceux de Lyon, c’est qu’il avait soin de ne prendre la responsabilité de ses crimes que tout juste pour en avoir le profit auprès de ceux qui les approuvaient. Avec les modérés, il s’arrangeait de façon à la rejeter sur ses complices. Comme en servant le gouvernement du jour, il songeait à celui du lendemain, il prenait ses précautions pour l’avenir et se ménageait des obligés dans tous les partis par quelque service qu’il leur rendait à propos. Voilà comment, à chaque changement de régime, il s’est trouvé des gens qui l’ont protégé, ou, s’il n’était pas possible de le sauver tout à fait d’une disgrâce, qui la lui ont rendue moins rigoureuse. Pendant qu’on envoyait les jacobins, ses confrères, mourir à Sinnamari ou Cayenne, on se contenta de l’exiler à Montmorency. Lorsqu’il fut devenu ministre sous le Directoire, il lui sembla que la Révolution avait produit tous ses résultats et qu’il était bon qu’elle finît. Il se mit donc au service de l’Empire. On nous dit, pour le défendre, qu’il a donné à Napoléon des conseils de sagesse et de modération ; je le crois bien : il avait intérêt à soutenir un régime qui lui assurait la conservation de sa fortune, Ce petit régent de collège, qui disait, quand Sparte était à la mode, que quarante écus de rente suffisaient à un républicain, possédait alors vingt millions. Il ne tenait pas à les compromettre, et, quand il vit qu’il n’était pas possible de retenir un homme toujours prêt à se jeter dans les aventures, et qui en se perdant lui-même risquait de perdre les autres. Il trouva plus sage de précipiter sa chute et d’en tirer le meilleur parti possible. Il manœuvra  si bien qu’on vit un jour ce prodigieux spectacle dont Chateaubriand tut témoin et qui le frappa de stupeur, Talleyrand au bras de Fouché, « c’est-à-dire le vice appuyé sur le crime », se dirigeant vers le cabinet du roi très chrétien, pour y prêter leur septième, ou huitième serment, et en sortir ministres de Louis XVIII. Je n’ai pas besoin de dire que le livre où M. Madelin nous raconte ces choses surprenantes se lit avec un très vif intérêt. Toute l’histoire du temps passe à travers la vie de Fouché, et cette vie même est accidentée comme un roman. L’Académie, heureuse de ce brillant début d’un jeune historien, a tenu à le récompenser. Elle aurait pourtant aimé qu’on y sentit éclater plus souvent un accent de colère et d’indignation contre ces habiletés malhonnêtes. Je ne suis pas de ceux qui disent que l’histoire doit être impersonnelle et qui défendent à celui qui l’écrit de manifester ses opinions. Je crois que l’antiquité avait raison de la rattacher à la morale et de l’autoriser à prononcer des jugements sur les hommes et sur les choses. Il faut bien donner aux pauvres gens qui pratiquent le respect de la foi jurée, la soumission aux règles de l’honnêteté commune, et à qui ces vertus modestes ne procurent pas de grands bénéfices, cette très faible consolation de voir la postérité flétrir ceux que la trahison et l’intrigue ont con­duits à de hautes situations et de scandaleuses fortunes.

On doit au contraire féliciter M. Charles Benoist d’avoir étouffé dans son cœur, en nous parlant du prince de Bismarck, le ressentiment du passé. Il a eu raison de croire que c’est une méchante manière de se venger d’une défaite que d’injurier le vainqueur. Froidement, sans amertume, en simple psychologue, il a voulu l’étudier, pour nous le faire connaître. Heureusement ce n’est pas un de ces hommes qu’il soit impossible d’aborder. Il y a des politiques qui se taisent : il y en a d’autres qui parlent volontiers. M. de Bismarck était de ces derniers. Il aimait à causer de lui avec ses intimes, même quand il les savait disposés à être indiscrets. De ses écrits, de ses propos, où il parlait librement des autres, et ne se ménageait pas toujours lui-même, il ressort, une personnalité puissante. M. Benoist en fait un type, celui de l’homme fort. Ce type est tout à fait à la mode de nos jours ; de même qu’à la fin du XVIIIe siècle, après Jean-Jacques, tout le monde était sentimental, tout le monde est fort aujourd’hui, ou cherche à l’être. L’homme fort, tel que M. Benoist le décrit, n’est pas un homme aimable. Du reste, il ne cherche pas à être impersonelle et qui défendent à celui qui l’écrit de manifester ses opinions. Je crois que l’antiquité avait raison de la rattacher à la morale et de l’autoriser à prononcer des jugements sur les hommes et sur les choses. Il faut bien donner aux pauvres gens qui pratiquent le respect de la foi jurée, la soumission aux règles de l’honnêteté commune, et à qui ces vertus modestes ne procurent pas de grands bénéfices, cette très faible consolation de voir la postérité flétrir ceux que la trahison et l’intrigue ont conduits à de hautes situations et de scandaleuses fortunes.

On doit au contraire féliciter M. Charles Benoist d’avoir étouffé dans son cœur, en nous parlant du prince de Bismarck, le ressentiment du passé. Il a eu raison de croire que c’est une méchante manière de se venger d’une défaite que d’injurier le vainqueur. Froidement, sans amertume, en simple psychologue, il a voulu l’étudier, pour nous le faire connaître. Heureusement ce n’est pas un de ces hommes qu’il soit impossible d’aborder. Il y a des politiques qui se taisent : il y en a d’autres qui parlent volontiers. M. de Bismarck était de ces derniers. Il aimait à causer de lui avec ses intimes, même quand il les savait disposés à être indiscrets. De ses écrits, de ses propos, où il parlait librement des autres, et ne se ménageait pas toujours lui-même, il ressort, une personnalité puissante. M. Benoist en fait un type, celui de l’homme fort. Ce type est tout à fait à la mode de nos jours ; de même qu’à la fin du XVIIIe siècle, après Jean-Jacques, tout le monde était sentimental, tout le monde est fort aujourd’hui, ou cherche à l’être. L’homme fort, tel que M. Benoist le décrit, n’est pas un homme aimable. Du reste, il ne cherche pas à être aimé, il trouve qu’il vaut mieux être craint. Il ne dit pas que la force prime le droit, parce qu’il n’a pas de goût pour les axiomes, et que les idées générales lui sont suspectes, mais il se conduit comme s’il jugeait que cette maxime est vraie. Il se demande, avant d’agir, si ce qu’il veut faire est possible et utile, et ne se demande guère autre chose. II professe un pessimisme insolent et tranquille ; il ne prend pas la peine de cacher le mépris qu’il a pour les hommes, et il faut bien reconnaître que ceux dont il se sert d’ordinaire le justifient de les mépriser. Il se méfie des doctrines qui peuvent créer des embarras ou des scrupules, et empêcher qu’on ne profite franchement des circonstances qui se présentent. Il ferme soigneusement son âme aux théories humanitaires, à l’imagination, à la pitié, au rêve, au sentiment, à tout ce que Bismarck appelle, avec un dédain profond, la politique des dames et des professeurs. Ce portrait, que M. Benoist a tracé avec tant de vigueur et de finesse, est plein pour nous d’amères leçons. Il nous apprend que nous ferons bien désormais de nous tenir en garde contre les vagues sentimentalités, de ne pas nous payer de mots, d’avoir plus de souci du réel et de l’utile. Mais, en essayant de nous donner quelques-unes des qualités de l’homme fort, nous ne sommes pas obligés de les prendre toutes, et quoi qu’on pense de cette pauvre politique des professeurs, je crois qu’il sera bon d’en retenir quelque chose.

Avec M. de Bismarck, nous touchons à des temps bien voisins du nôtre ; nous allons nous en rapprocher davantage : c’est d’hier que nous entretenait le livre de M. Ch. Benoist ; en voici d’autres qui nous parlent d’aujourd’hui.

M. Pierre Leroy-Beaulieu, un nom cher à l’Institut, nous amène avec lui dans les pays de l’Extrême-Orient. Il étudie la crise que la Sibérie, la Chine, le Japon traversent en ce moment, au contact de la civilisation européenne : quel accueil lui ont-ils fait jusqu’ici ; comment arriveront-ils à s’en accommoder, et quelles seront les conséquences pour eux et pour nous de ce mélange d’éléments contraires ? Problème obscur, que le siècle qui finit lègue à celui qui commence. Pour le résoudre, M. Leroy-Beaulieu a séjourné pendant plus d’un an dans ces pays lointains, visitant les lieux, interrogeant les hommes, regardant de près les choses. Il nous en rapporte un livre solide, curieux, plein d’informations tes, et dont les événements qui viennent de s’y puisse confirment l’autorité. M. Victor Bérard ne va pas si loin : il se contente de passer la Manche, et là, presque à nos portes, il trouve des questions irritantes, qu’on y discute avec passion, et auxquelles il croit utile de nous initier. Il a intitulé son livre : L’Angleterre et l’Impérialisme. Le titre en dit le sujet et en indique l’importance, est écrit d’une plume alerte, sans violence, avec des citations bien choisies de documents officiels. Le plus souvent, M. Bérard laisse parler le ministre qui s’est fait le principal apôtre de l’idée impériale et se contente de commenter ses paroles.

L’intérêt de ces ouvrages n’est pas seulement de nous apprendre ce qui se fait ailleurs, mais de nous suggérer ce que nous devons faire ici. On voit bien que nos jeunes auteurs songent à nous en nous parlant des autres. N’est-ce pas une leçon qu’ils nous donnent quand ils nous montrent avec quelle avidité les peuples qui nous entourent se jettent sur les pays où il y a quelque bonne place à prendre ? Ils veulent nous faire comprendre qu’une nation se diminue non seulement quand elle perd une partie de son territoire, mais quand ses voisins augmentent le leur, et que ce n’est pas le moment, lorsqu’ils s’étendent hors de chez eux, de vivre en nous-mêmes confinés dans nos querelles mesquines. La France, du reste, l’a bien compris. Depuis quelques années, pour tenir son rang, elle s’est jetée dans les entreprises coloniales et l’a fait avec cette hardiesse, cette bravoure qui sont dans sa nature. L’Académie s’est associée à cet élan ; vous avez vu qu’elle fait figurer tous les ans, dans ses listes de lauréats, quelques-uns de ces explorateurs qui servent la patrie, enrichissent la science par leurs découvertes et donnent à l’humanité d’admirables exemples de patience et de courage, que beaucoup d’entre eux, les plus nobles et les meilleurs, payent de leur vie. — Ai-je besoin de rappeler le souve­nir vivant dans tous les cœurs de ce jeune prince dont nous avons encouragé les premiers travaux, et qui a obtenu cet honneur rare, dans un pays si misérablement divisé, que tous les partis se sont réunis pour le pleurer ?

Cette année encore on a adressé à nos concours un certain nombre de relations de voyages, et nous avons couronné plusieurs d’entre eux ; l’une est intitulée : Vers Fachoda, par M. Ch. Michel. Fachoda est un nom qui sonne mal aux oreilles françaises. Il s’agit ici non pas tout à fait de l’expédition du colonel Marchand, mais d’une autre, qui devait partir de l’Abyssinie pour essayer de le rejoindre. Elle n’y put réussir. Deux fois, après des fatigues inouïes, nos explorateurs Louchèrent au Nil blanc, et deux fois il leur fallut revenir en arrière. Ils s’en retournèrent la mort dans l’âme, désespérés de laisser à l’Angleterre ce pays où ils venaient de supporter tant de souffrances inutiles. Mais ce n’est pas une raison, s’ils n’ont pas réussi, de ne pas rendre hommage à leur énergie. Ils ont déployé d’admirables qualités dans ces marécages du Nil dont on ne sort pas et n’ont consenti à se reconnaître vaincus que la veille du jour où ce qui restait de l’expédition allait mourir de faim. Ils méritent bien que leur pays qu’ils ont si courageusement servi ne les oublie pas.

M. Édouard Foa a été plus heureux. En trois ans, il a traversé toute l’Afrique, du Zambèze au Congo, de l’Océan Indien à l’Atlantique. Il a fait ce voyage à pied, sans escorte militaire, avec deux amis, qui même n’ont pas pu l’accompagner jusqu’au bout. On ne voit pas bien, au premier abord, quelle raison a pu l’entraîner à cette dangereuse aventure, sinon peut-être sa passion pour les grandes chasses où il a obtenu des succès extraordinaires : songez qu’il a tué neuf éléphants en une semaine et trois lions dans un jour. Mais il n’était en réalité ni un marchand qui cherche des débouchés à son commerce, ni un soldat qui veut conquérir des pays nouveaux, ni même tout à fait un savant, quoiqu’il ait rapporté de précieux spécimens d’histoire naturelle dont il a fait profiter notre Muséum. L’Afrique l’attirait. Il aimait la vie de hasard et de liberté qu’on y mène ; il trouvait du charme à l’inattendu des découvertes, à l’oubli des petitesses de la vie civilisée, à l’orgueil de fouler un sol où personne n’a mis le pied, à l’incertitude du lendemain, et même à ces périls et à ces souffrances dont on se souvient si volontiers, quand on a surmontés par son courage. C’est ainsi qu’il a visité deux fois le continent noir, et il n’aurait peut-être pas résisté au désir d’y faire un voyage nouveau, si la mort ne l’avait pris à son retour. En 1896, il avait failli périr de la fièvre sur les bords du lac Nyazza ; cinq ans après, il y a quelques mois, elle est insidieusement revenue, pendant qu’il était tout à la joie de vivre avec les siens, et l’a terrassé au milieu d’eux en quatre jours.

Cette année encore, nous avons fait une place dans la liste de nos prix à des livres en langue française publiés hors de chez nous. C’est ainsi que nous couronnons l’ouvrage de M. Philippe Monnier, un Suisse, sur le Quattro cento, c’est-à-dire sur le XVe siècle italien, celui de M. Gilbert, un Belge, sur le roman au XIXe siècle, et le Rhapsode de la Dambovita, recueil de chansons roumaines, plein d’idées poétiques et originales, où l’on sent l’inspiration d’un peuple singulier qui mêle la joie de vivre à une sorte de volupté de la mort. Mlle Hélène Vacaresco. après les avoir entendu chanter dans les campagnes de son pays, les a transcrites dans sa langue nationale, puis elle les a traduites en français. Car, nous dit-elle, entre toutes, cette langue m’est chère, et suit avec plus de grâce et de précision l’allure de ma pensée.

Je n’ai pas à justifier l’Académie d’aller prendre quelques-uns de ses lauréats au delà de nos frontières. C’est son rôle d’honorer, partout où elle les trouve, ceux qui aiment notre langue, qui la cultivent avec talent, et qui travaillent à lui conserver le rang qu’elle a tenu dans le monde. Ce rang, vous savez qu’elle est menacée de le perdre, et que le temps n’est plus où l’Académie de Berlin elle-même proclamait l’universalité de la langue française. Il nous a semblé qu’il ne fallait pas nous résigner lâchement à cette décadence, et que l’Académie avait le devoir de venir en aide à ceux qui font tous leurs efforts pour l’arrêter. Voilà pourquoi, cette année, elle a demandé à l’Institut, qui a favorablement accueilli sa demande, de décerner la plus grande partie des revenus du legs Debrousse (vingt-cinq mille francs sur trente) à l’Alliance française, qui soutient de son influence et de son argent les écoles où l’on enseigne le français à l’étranger.

Songez, Messieurs, que le péril est grand, que partout nous rencontrons des rivaux que les circonstances favorisent et contre lesquels il est difficile de lutter. Est-il surprenant que dans ces ports que nos vaisseaux fréquentent moins qu’autrefois, dans magasins de l’Orient que notre commerce délaisse dans ces villes lointaines où nos voyageurs sont si rares, on oublie le français pour ne plus se servir que de l’anglais et de l’allemand’ ? La France, en se désintéressant de la lutte économique, laisse le champ libre aux autres idiomes, qui s’apprêtent à remplacer le sien.

Heureusement il lui reste pour s’imposer encore aux classes éclairées des autres nations, la perfection de sa langue et l’attrait de sa littérature. Ce sont deux avantages dont elle ne doit pas se laisser dépouiller. Il nous faut donc empêcher que sa langue s’altère et qu’elle perde ces qualités qui en ont fait pendant deux siècles la langue de l’Europe. C’est la fonction de l’Académie française ; elle la tient de l’homme d’État qui l’a fondée et qui voulait en faire non pas seulement une société de gens de lettres, mais l’instrument de ses grands desseins. L’Académie peut, je crois, se rendre ce témoignage qu’elle a fidèlement accompli la tâche qui lui était confiée. Ce qui le prouve, ce sont les sept éditions qu’elle a successivement publiées de son Dictionnaire, et la huitième dont elle s’occupe depuis six ans. Si nous croyons devoir toujours le recommencer, c’est que la langue se renouvelle sans cesse et qu’il importe à chaque fois d’en surveiller et d’en diriger les progrès. Si nous procédons sans hâte à ce travail, c’est que l’œuvre est délicate, qu’elle demande beaucoup de ménagements et de soins, et qu’il y aurait un aussi grand danger à s’opposer obstinément aux innovations que propose l’usage qu’à les accepter trop vite. Quant à la littérature. C’est bien elle surtout à qui la France doit l’ascendant dont a joui dans le monde. Comme elle est le seul pays peut-être où le mouvement littéraire ne se soit jamais interrompu depuis quatre siècles, on peut bien espérer que son génie, après une si belle floraison, n’est pas devenu tout d’un coup stérile. Le XXe siècle aura donc, comme les autres, une littérature ; mais que sera-t-elle ? Au milieu de l’anarchie littéraire que nous traversons, il n’est pas possible de le prévoir. Personne ne peut dire de quel côté nos penseurs et nos poètes, qui paraissent épris de nouveauté et d’indépendance, se dirigeront. Puissent-ils au moins s’imposer la loi de ne rien publier qui décourage les étrangers de nous lire ! Puissent-ils rester fidèles à nos traditions de bon sens et de bon goût, à cette élévation d’idées, à cette générosité de sentiments qui ont fait jusqu’ici l’honneur et la popularité de notre littérature et lui ont gagné la sympathie des peuples. C’est le souhait que doivent former, en saluant le siècle nouveau, les amis des lettres françaises.