Funérailles de M. René Doumic, Secrétaire perpétuel

Le 6 décembre 1937

Émile MÂLE

Funérailles de M. René Doumic
Secrétaire perpétuel de l’Académie française

Le 6 décembre 1937

DISCOURS

DE

M. ÉMILE MÂLE
Chancelier de l’Académie française

 

Messieurs,

L’Académie française vient de faire une perte cruelle. La mort de René Doumic la met en deuil et l’émeut douloureusement. Elle ne voulait pas imaginer qu’elle pût un jour être privée de ce secrétaire perpétuel accompli, qui savait tout, qui avait une réponse à tout et dont la sagesse mettait fin à toutes les controverses. Ses confrères avaient pour lui quelque chose de plus que cette sympathie qui naît si vite à l’Académie et qui devient si aisément de l’amitié, — ils avaient du respect. Il était un des membres les plus anciens de notre Compagnie, il y avait connu quelques-uns des hommes éminents de la fin du siècle dernier et il s’était fait de bonne heure la plus haute idée de l’Académie et des devoirs qu’elle impose. Il était pour nous la tradition vivante. Nous admirions son activité qui tenait du prodige et sa noble vie où il n’y avait place que pour le devoir.

Peu d’hommes ont porté un fardeau aussi lourd. Que l’on songe qu’il était à la fois secrétaire perpétuel de l’Académie française, directeur de la Revue des Deux Mondes, directeur de la Société des conférences et que l’on pense à ce que chacune de ces fonctions demande de travail, d’esprit de suite, de tact et parfois de divination ; que l’on n’oublie pas, non plus, qu’il était, en même temps, un critique dramatique d’un jugement éprouvé, un historien de la littérature et des grands romantiques, un conférencier plein de talent, et qu’il fut un des présidents de la Société des gens de lettres. Pour remplir d’aussi hautes fonctions, il lui fallait non seulement un vaste savoir, un goût délicat et un profond amour des lettres, mais, ce qui est plus rare, une inébranlable fermeté de caractère. Il devait savoir refuser, — refuser un article, refuser un prix littéraire, refuser à un candidat son appui. Les anciens disaient que ce qui fait la force d’un homme et sa grandeur, c’est de savoir dire : non. Il avait cette force; c’est pourquoi, il a porté tout ce qu’il a dirigé à un si haut degré de perfection.

Ce qui le soutenait dans sa rude tâche, c’était le sentiment de la noblesse du génie français et le sentiment du grand rôle que la France doit jouer dans le monde. C’était là sa pensée profonde; c’est celle qu’on retrouve au fond de tout ce qu’il a écrit. Il voulait que ce qu’il publiait, que ce qu’il encourageait fût digne de la France. C’est en pensant à elle qu’il jugeait les livres, les œuvres dramatiques, les hommes. Comme la revue qu’il dirigeait avait des lecteurs dans le monde entier, il pensait avec grandeur, et il voulait que le génie français rayonnât avec elle jusqu’aux extrémités de la terre.

En accueillant tout ce qui est noble, tout ce qui est élevé, il a joué un rôle tout à fait éminent. Il a contribué à maintenir parmi nous cette élévation morale, ce ton de politesse délicate, cette pureté de la langue, qui ont toujours séduit les étrangers et qui sont notre patrimoine. C’est maintenant qu’il n’est plus que l’unité de sa vie apparaît et que nous voyons d’un seul regard tout ce que nous lui devons.

Il avait la passion de son pays ; il ne le quittait jamais. Il a publié dans sa revue une foule de beaux récits de voyages, qui devaient charmer son imagination, et il ne voyageait pas. Paris lui suffisait : il y respirait la France dans l’air. Cette immobilité donnait à sa vie l’unité et le calme nécessaires à ses grands devoirs. Il a vécu et il est mort, comme il l’espérait, en travaillant.

Il ne connut pas d’autres joies que celles de la famille. C’est là qu’il apparaissait avec sa vraie nature, avec sa profonde sensibilité, que son rôle de chef l’obligeait à voiler. Ceux qui connaissent cette famille, qu’il a tant aimée, savent quelle tendresse toute particulière il avait pour ses petits-enfants, avec quelle passion il s’intéressait à leurs travaux, à leurs études ; mais ils savent aussi quelle affection sa famille avait pour lui ; ils savent quel déchirement sa mort a été pour Mme René Doumic et pour tous les siens.

Je l’ai vu sur son lit de mort. Son visage était d’une beauté singulière; il ne portait plus le poids de l’existence et avait revêtu une émouvante sérénité. On sentait que, pendant sa belle vie, il n’avait pas été de ceux qui n’ont pas d’espérance.

Je prie Mme René Doumic et notre cher confrère Louis Gillet son gendre, ainsi que toute sa famille d’agréer les profondes condoléances de l’Académie française.