Inauguration de la statue du maréchal Foch au carrefour de l'Armistice à Rethondes

Le 27 septembre 1937

Maxime WEYGAND

INAUGURATION DE LA STATUE DU MARÉCHAL FOCH
AU CARREFOUR DE L’ARMISTICE A RETHONDES

le dimanche 26 septembre 1937

DISCOURS

DE

M. MAXIME WEYGAND
DÉLÉGUÉ DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

Madame la Maréchale,
Mesdames,
Messieurs,

Hier je quittais ces ombrages bretons auxquels le général Foch avait dû s’arracher, à la fin du mois de juillet 1914, lorsque la situation, brusquement aggravée, l’avait rappelé à Nancy. Aujourd’hui je me retrouve dans cette forêt de Rethondes où le Chef des Armées alliées dicta à nos adversaires les conditions de l’Armistice. La fidélité des Amis de Compiègne à sa mémoire a voulu que sa statue domine le lieu de pèlerinage qu’est devenue cette clairière.

Au moment de prendre la parole pour associer l’Académie française à cet hommage, je vois se dresser devant moi tous les souvenirs de ces quatre années de guerre, au cours desquelles aucun jour ne s’est écoulé sans que j’aie senti augmenter ma confiance dans le Chef près duquel j’avais le privilège de servir, et grandir mon admiration et ma vénération. Qu’il me soit permis d’évoquer brièvement certains d’entre eux.

A la Marne d’abord : le général Foch vient de prendre en mains, avec une maîtrise sans pareille, une armée d’éléments mal soudés, éprouvés par la bataille des frontières et par la retraite. Ce sont quatre journées de combats, menés ou subis sans désemparer jusqu’aux dernières heures de la journée du 9 septembre. Si graves que soient les nouvelles qui lui parviennent sur la violence et les succès partiels des attaques ennemies, ou sur les difficultés rencontrées par nos troupes, elles le laissent maître de lui, l’esprit libre pour les combinaisons qui forceront la victoire. De ce calme et de cette confiance il crée le rayonnement autour de lui ; tout s’y passe à l’heure dite, sans hâte et sans retard. Mais en même temps il réchauffe ses lieutenants de l’ardeur de sa foi, et fait passer en eux sa volonté de vaincre. Je me demande, debout derrière lui, quand il trace de sa belle écriture régulière les grandes lignes d’un ordre, ou lorsque sur le terrain il anime ses généraux, quel est le démon familier qui vit en lui pour lui donner à la fois cette force de résistance devant laquelle l’effort se brise, et ce dynamisme auquel rien ne résiste. C’est bien le génie de la France, — celui d’un peuple qui a dû combattre souvent au cours des siècles pour son unité et son indépendance, et qui, — il le sait, — demeure toujours capable de tous les sacrifices pour cet idéal indestructible.

Deux ans plus tard, le général Foch était frappé. Le vainqueur des Marais de Saint-Gond, le stratège de ta bataille des Flandres, le conducteur de la bataille de la Somme était privé de son commandement. J’allai lui annoncer cette nouvelle dont j’étais bouleversé, ne pouvant comprendre tant d’injustice et de déraison. De longues années de travail en commun avaient diminué les distances, et je pus me permettre de lui faire part de ma tristesse et de mon indignation : « Laissez-les faire », me dit-il simplement, et ce sujet ne revint plus entre nous. Jamais encore je ne l’avais senti aussi grand. Je lui avais vu dominer des hommes, imposer des directions aux événements ; ce jour-là il fit mieux, il se domina lui-même.

Enfin, au début de novembre 1918, le voici à la place autour de laquelle nous sommes réunis : Il a été appelé au Commandement suprême par la voix des Alliés qui savent ce que l’on-peut attendre de sa science, de la fermeté de son caractère, de son unique souci du bien général ; de cette intrépidité morale dont il leur a donné de si fréquents témoignages. « Nous savons, dit le premier Ministre britannique, que si les Flandres ou l’Italie pâtissent, c’est, pour le général Foch, comme si la France elle-même pâtissait. » Et le Général accepte sans hésiter la tâche de reprendre une bataille perdue, parce qu’il possède au plus haut, degré la fermeté du caractère et l’amour des responsabilités. Pas un instant il ne s’enorgueillit d’un choix qui aurait pu paraître une revanche. Jamais il ne rappelle que si l’on avait suivi ses conseils, on n’en serait pas arrivé là. Aussitôt nommé, il est à la besogne, rassurant, ranimant, étayant. Cette fois, ce ne sera plus pendant quatre jours, mais durant quatre mois qu’il devra résister, pour passer, dès que l’occasion s’en présentera, à l’offensive qu’il mènera alors tambour battant jusqu’à la victoire.

Et lorsqu’il faut choisir un lien pour donner à l’ennemi connaissance des conditions de l’Armistice, il écarte les localités où les plénipotentiaires seraient en butte à la curiosité et peut-être à la malveillance, et c’est au milieu de cette forêt, sur les voies jumelles d’un épi de tir caché sous les frondaisons, que se produit la rencontre dont la cérémonie d’aujourd’hui évoque à la fois la simplicité et la grandeur.

Calme, fort, simple, grand, tel était le maréchal Foch. Mais que l’on se souvienne que dans sa sérénité il n’y avait aucun refus de voir les faits dans leur réalité, dans son optimisme aucun effort anesthésiant, dans sa confiance aucun dédain de l’adversaire ou des difficultés. Sa foi dans le succès n’avait pas sa source dans la science ou la machinerie seules, mais avant tout dans les vertus françaises qu’il avait le courage de mettre à l’épreuve, ce que les vrais chefs seuls sont capables de faire. J’aime ce monument, œuvre d’un artiste de son pays pyrénéen qui l’a bien connu, cette statue solidement campée, maîtresse du sol à défendre. Elle perpétuera dignement la mémoire de l’homme à qui la France et ses alliés confièrent leur destin.

Il est là, barrant le chemin au doute, à l’abandon, à la mollesse.