Inauguration d'une statue équestre élevée en l'honneur du maréchal Foch, à Tarbes

Le 27 octobre 1935

Maxime WEYGAND

Inauguration d’une statue équestre
élevée en l’honneur du Maréchal Foch

A Tarbes

Le dimanche 27 octobre 1935

 

DISCOURS

DE

M. MAXIME WEYGAND
DÉLÉGUÉ DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

La reconnaissante piété de ses concitoyens, le talent d’un artiste issu du même terroir, ont dressé cette belle image dont l’allure ferme et décidée évoque avec tant de vérité le tempérament d’un grand vainqueur de la guerre.

L’Académie française a compté le maréchal Foch parmi les plus illustres de ses membres. Elle a voulu que, du même pas, il franchît la voûte de l’Arc de l’Étoile et pénétrât sous la Coupole. Elle l’a aimé dans sa grandeur voilée de simplicité. Elle lui apporte aujourd’hui un témoignage de fidélité et un hommage de patriotique gratitude.

Lorsque, après ses désastres de 1870, la France entreprit dans un magnifique élan l’œuvre de son relèvement, deux voies s’ouvraient à ceux qu’une irrésistible vocation entrainait vers la carrière des armes. La formation, la défense d’un nouvel empire colonial appelaient les .uns vers les terres lointaines où flottait notre drapeau, tandis que la réorganisation nécessaire, dans ses institutions, son armement et ses méthodes, de l’armée métropolitaine chargée de défendre le sol de la Mère-Patrie, y retenait les autres. Dans ces deux domaines, la France a trouvé de grands serviteurs, à la fois hommes d’action et hommes de pensée. Ces centres, si différents de l’activité nationale, ont formé des chefs militaires incomparables. Et lorsque le danger les eut réunis tous, coloniaux et métropolitains, sur la terre de France en péril de mort, ce fut un digne sujet d’admiration de voir bien vite s’imposer côte à côte à la tête de nos armées les conquérants de la brousse et les maîtres de l’enseignement militaire français.

La cérémonie d’aujourd’hui s’encadre entre l’hommage que Paris rendait hier à la pure mémoire du maréchal Fayolle, et le dernier salut de la France à la dépouille mortelle de Celui qui lui donna le Maroc. En honorant trois de ses plus illustres enfants clans la dernière semaine d’un mois fertile en inquiétudes, il semble que notre Pays se plaise à se souvenir que jamais les hommes n’y ont fait défaut pour les grandes tâches.

La vocation de Ferdinand Foch — de ce Pyrénéen finement et, fortement trempé, si bien de chez lui — naquit à Metz où l’avait mené, en 1870, au Collège Saint-Clément, sa préparation à l’École polytechnique. A Metz, il avait aperçu l’Empereur accablé s’embarquant après les premiers revers, il avait eu le spectacle d’une tristesse sans pareille des populations fuyant devant l’envahisseur, il avait vu reculer des troupes vaincues et désorganisées. Après s’être engagé, il revenait à Metz l’année suivante afin de terminer ses études, et trouvait la ville oppressée par l’occupation allemande. Dès lors il avait choisi : il serait de ceux qui, dans le silence et le travail, s’efforceraient de donner à la Patrie meurtrie la force qui protégerait son relèvement et la garderait d’autres malheurs.

Lorsque la guerre éclate en 1914, le nom du général Foch est ignoré du public. Mais ses chefs le tiennent en haute estime et, dans l’armée, la ferveur de ses disciples a donné à son enseignement de l’École de guerre un incontestable rayonnement. Il a 63 ans. Il commande un corps d’armée sur la Marche lorraine.

Moins d’un mois après l’ouverture des hostilités, il est appelé au commandement de la IXe Armée. A la bataille de la Marne, le chef se révèle. Avec un sang-froid et une volonté imperturbables, il fait face, pendant quatre journées, à des attaques acharnées, et son indomptable résistance maintient l’équilibre stratégique du dispositif de nos armées et permet à la manœuvre du commandant en chef de se développer victorieusement.

Quelques semaines plus tard la situation se tend de nouveau : un vaste espace nous sépare encore de l’armée belge, la chute d’Anvers est imminente, et de nouvelles formations allemandes font redouter la marche sur Calais ; le général. Joffre nomme le général Foch son adjoint, avec la mission de coordonner les actions alliées entre l’Oise et la mer du Nord.

Alors commence cette manœuvre connue sous le nom de « Course à la mer » qui aboutit aux sanglantes batailles de l’Yser et d’Ypres, où Belges et Anglais, avec le concours toujours présent des forces françaises, brisent l’effort de l’adversaire. De cette manœuvre, le général Foch fut l’âme ; sa confiance raisonnée, sa volonté de ne permettre aucun recul volontaire, la force de persuasion qu’il sut déployer pour convaincre ceux qui n’avaient pas à lui obéir, pesèrent d’un poids immense dans le succès final.

Cette défaite dans la bataille livrée pour les ports de la Manche marquait l’échec définitif du gigantesque effort de l’Allemagne. La guerre des tranchées allait commencer. Pendant deux années, le général Foch assura la préparation et la direction supérieure des offensives françaises décidées sur le front de son groupe d’armées. Mais frappé de la faiblesse du résultat, sans rapport, avec les sacrifices consentis, il en recherchait les causes profondes et méditait sur les méthodes à mettre en œuvre pour arriver à une action décisive.

Écarté un moment du commandement, il dut peut-être à cette disgrâce, injustifiée d’être choisi plus tard comme chef d’état-major général. Appelé clans ce poste à prendre part aux grandes conférences qui réunissaient périodiquement les chefs des gouvernements alliés et leurs généraux, il s’y imposa vite par la hauteur de ses vues, la sagesse et la netteté de ses avis, la clarté, de ses plans.

Aussi, lorsqu’en 1918, la défaite, eut fait rudement comprendre la nécessité d’un commandement supérieur, fut-ce vers lui que tous se tournèrent ; vers le Foch infatigable et intrépide des Marais de Saint-Gond, de l’Yser et d’Ypres, vers le Foch dont, le bon sens génial avait marqué dans les conseils de 1917. Le 26 mars, à Doullens, il recevait la charge de faire sortir la victoire d’une première bataille perdue. Il assuma sur l’heure cette responsabilité sans égale.

Indifférent aux lacunes des pouvoirs dont il est investi, il se met à l’œuvre : en moins d’une journée, il voit tous les chefs alliés chargés de la conduite de la bataille, il leur fait connaître ses desseins et formule ses exigences, il les anime de sa confiance. La cause de l’Entente a failli sombrer parce que la rupture entre les années britanniques et françaises a été bien près d’être consommée. C’est à conserver cette liaison qu’il consacre ses efforts. Obligé de choisir entre des exigences contradictoires, de décider, et par là de risquer, il ne recule devant aucune détermination. Si on veut lui faire dire ce qu’en cas de nécessité il sacrifierait, de la défense de Paris ou de la couverture des ports, il répond invariablement ne rien vouloir abandonner de ces deux intérêts essentiels. Il y parvient. Sous les coups assénés pendant quatre mois par l’armée allemande, notre front plie et ne rompt pas. Mais pendant cette longue bataille défensive conduite avec une sagesse frémissante d’ardeur contenue, le général Foch n’a pas cessé un jour de penser à l’offensive qui « seule permettra de reprendre, avec l’initiative des opérations, l’ascendant moral, et de terminer victorieusement la bataille ». Il a profité de tous les instants de répit pour en rappeler aux armées la nécessité et en assurer la préparation matérielle et morale.

Et lorsque, l’Allemagne épuisée par des efforts magnifiques mais stériles, les Armées alliées refaites et renforcées de la grande aide américaine, l’heure de cette offensive sonne enfin, le génie du Chef a réuni, dans la conque du Tardenois, autour des divisions françaises de Mangin et de Degoutte, des unités britanniques, américaines et italiennes. La matinée du 18 juillet, dont le communiqué émeut les cœurs français du premier frisson de la victoire finale, est le prélude de l’irrésistible action qui va, d’un mouvement continu et sans cesse élargi, entraîner toutes les Armées alliées. Il ne plus maintenant de tentative de percée se succédant à larges intervalles. Les expériences passées, les méditations ont porté leurs fruits, les moyens accrus sont à la hauteur d’une stratégie nouvelle. L’attaque commencée sur un front limité va s’étendre, sans jamais s’interrompre ni rien abdiquer de sa vigueur, jusqu’à embrasser, à la fin de septembre, tout le front de 350 kilomètres, s’étendant de la Meuse à la mer du Nord : Sur cet immense champ de bataille, douze Armées alliées, belges, britanniques, américaines et françaises, étreignent, sans lui bisser de répit, l’armée allemande, qui fait courageusement tête, la délogent de haute lutte de ses positions fortifiées, lui prenant des canons par milliers et des prisonniers par centaines de mille, jusqu’au jour où, à bout de forces, asphyxiée par l’engorgement de ses communications, elle est contrainte à demander l’Armistice.

Ce que fut cet Armistice ? Le maréchal Foch l’a dit bien des fois : il mettait dans la main des Gouvernements alliés le moyen de faire la paix qu’ils voudraient. Qu’il me soit seulement permis de rappeler le vœu de M. Raymond Poincaré, recevant le maréchal Foch à l’Académie française : « Souhaitons que le monde n’ait jamais à se repentir de ne s’être qu’incomplètement inspiré de vos avis. »

Telle fut l’œuvre du prestigieux Capitaine dont la triple dignité, sans précédent dans l’histoire, de Maréchal de France, de Field Marshal d’Angleterre et de Maréchal de Pologne rappelle l’étendue de son commandement et symbolise les résurrections, filles de ses victoires.

L’homme fut plus grand encore, il dominait son œuvre. Il était un chef au suprême degré. Il croyait dans la vertu maîtresse du chef pour commander aux événements. Dans son enseignement, il avait répété après Napoléon : « Ce ne sont pas les légions romaines qui ont conquis les Gaules, mais César. Ce ne sont pas les soldats carthaginois qui ont fait trembler Rome, mais Annibal. Ce n’est pas la phalange macédonienne qui pénétra jusque dans l’Inde, mais Alexandre... »

Non qu’il mît trop bas la valeur du combattant. Il y croyait, au contraire, plus que quiconque. Il aimait à dire que les déterminations du commandement doivent être dignes de la valeur des soldats. Mais il savait que ce sont les généraux qui perdent ou qui gagnent les batailles et qu’ils font leur troupe à leur image.

Il avait dégagé de l’histoire la notion rayonnante du chef. Il l’avait définie en des termes saisissants et pleins de grandeur « Quand vient l’heure des décisions à prendre, des responsabilités à encourir, des sacrifices à consommer, où trouver des ouvriers pour cette entreprise si ce n’est dans les natures supérieures, avides de responsabilités, celles-là qui, imprégnées de la : volonté de vaincre, trouvent dans cette volonté comme aussi dans la vision nette des seuls moyens qui conduisent à la victoire, l’énergie d’exercer sans hésitation les droits les plus redoutables, d’aborder avec aplomb l’ère des difficultés et des sacrifices, l’énergie de tout risquer, même leur honneur... »

Lorsque vint la guerre, ce « département de la force morale », comme il l’appelait, il fut ce Chef.

Il le fut parce qu’il savait. Quarante années d’études, de méditations, d’enseignement, lui avaient donné une connaissance profonde, non seulement de ce qui se rapporte à l’art de la guerre, mais encore de ce qui fait la grandeur des Nations ou amène leur déclin. Il savait que dans la lutte, un homme, une armée, un peuple qui s’abandonnent sont perdus. Chez ce professeur, qui était avant tout un maître, cette philosophie, cette éthique, ne se manifestaient jamais de façon didactique. Elles s’étaient identifiées à lui sous la forme de règles d’action supérieures d’ordre intellectuel et moral, dont il ne s’écartait jamais. Il ne les proclamait pas, il les vivait.

Il fut ce Chef parce qu’il le voulait. Chez lui, le caractère était à la hauteur de la pensée. Dès sa jeunesse, il avait pratiqué le culte jaloux de sa dignité ; jamais il n’avait consenti, en acte ou en pensée, une concession incompatible avec ses convictions ou ses croyances. Ainsi s’étaient forgées, à mesure qu’il savait davantage, cette indépendance de jugement, cette fermeté dans les décisions, cette volonté implacable, que rien ni personne ne pouvait ébranler, qu’il s’agit de la conduite des troupes ou des mesures qu’il jugeait, indispensables à la sécurité française.

Il le fut enfin parce qu’il possédait cette ardeur communicative indispensable à l’entraîneur d’hommes. Lorsque le maréchal Foch prenait possession d’un commandement, — et ce ne fut qu’à des heures difficiles — lorsque, dans de graves circonstances, il apparaissait dans un Quartier Général, dans une réunion où les fronts étaient lourds d’inquiétudes, avant même qu’il eût dit un mot, son attitude, son regard, avaient fait comprendre qu’il était, comme toujours, porteur de foi et de force. Et lorsqu’il avait fait entendre sa parole hachée, elliptique, riche d’expressions à l’emporte-pièce, qui ne laissait place au doute ni à l’abattement, on pouvait être surpris de ses espoirs, heurté par ses exigences, mais la confiance renaissait et moralement, les difficultés étaient déjà en partie vaincues. Aussi dans la bataille de France sut-il obtenir de nos incomparables troupes, après une résistance acharnée de quatre mois, le nouvel effort d’une offensive menée sans arrêt jusqu’à la Victoire.

Quelles étaient les sources de cette force invincible, de ce génie qui l’éclairait et le poussait aux grandes résolutions et ne lui permettait pas de s’arrêter avant qu’elles fussent accomplies ? Sans doute la puissance et l’étendue de son esprit. Mais aussi, et par dessus tout, la foi agissante faite de son amour ardent et éclairé pour la France, dont la grandeur était l’unique objet de sa pensée, de sa confiance dans les vertus maîtresses du soldat et du peuple français.

Il a livré le secret de son idéal de soldat et de chrétien dans les dernières pages qu’il a écrites, où, glorifiant Jeanne d’Arc et pensant à la défense du pays, il invite la jeunesse à suivre « la voie que lui indique la flèche de Domrémy, ce clocher d’où l’on domine, d’où l’on comprend, et qui rayonne de tout ce qui hausse l’âme et l’empêche de faiblir. Il mesure la hauteur à laquelle doit s’élever la notion du devoir au service d’une cause sacrée. »

Nous souffrons à la fois de regarder trop bas et du mal de faiblesse et d’irrésolution.

Que notre jeunesse élève donc ses yeux et son âme et qu’elle réponde à l’appel de Celui qui ne douta jamais d’elle et de ce qu’elle porte en elle le destin de la France.