Discours prononcé à l'occasion de la mort de Maurice Donnay

Le 5 avril 1945

Maurice de BROGLIE

DISCOURS

PRONONCÉ PAR

M. LE PRINCE DE BROGLIE

le jeudi 5 avril 1945

A L’OCCASION DE LA MORT

M. MAURICE DONNAY

 

MESSIEURS,

L’Académie française a été, cette semaine, frappée d’un grand deuil par la mort de son doyen d’élection, M. Maurice Donnay.

Né à Paris, le 12 octobre 1859, il s’était tourné d’abord vers les études scientifiques et il avait été élève de l’École Centrale des Arts et Manufactures. Mais la carrière d’ingénieur ne lui convenait sans doute guère : il la délaissa bientôt pour s’adonner à la poésie légère et il fit ses débuts littéraires dans un cabaret de Montmartre, le Chat Noir. Dès cette époque se manifestaient déjà certains aspects originaux de son talent d’écrivain : aux fantaisies souvent burlesques et excessives d’une imagination juvénile, il savait parfois unir une émotion contenue exprimant par de beaux vers d’une forme presque classique. Il allait bientôt faire montre du même mélange d’entrain et de sérieux dans l’accomplissement d’œuvres moins légères, car il ressentit rapidement le désir d’assigner à son talent un but plus digne de lui et il devint auteur dramatique. On lui doit un grand nombre de comédies fines et spirituelles dont les noms sont restés célèbres : L’Affranchie, Les Oiseaux de passage, La Douloureuse, Amants, Le Torrent, Le Retour de Jérusalem, Paraître... Quand on étudie ces œuvres brillantes dans leur ordre chronologique, on constate un effort ininterrompu pour dégager, sous l’ironie exaspérée de sa première manière, le fond sérieux qui se devinait déjà sous les facéties du jeune poète montmartrois. À travers les badinages propres à la comédie, au milieu des scènes empruntées à la vie quotidienne, M. Maurice Donnay laissait apparaître, par instants, les élans d’une sensibilité vive et profonde. Comme l’a dit M. Paul Bourget en le recevant dans votre Compagnie en 1907, il était de ceux qui rient de la vie pour n’être point obligé d’en pleurer. Plus il avança dans sa carrière, plus son talent mûri par l’expérience prit de l’ampleur : sans jamais donner à ses pièces l’aspect un peu lourd de « pièces à thèse », il effleura souvent, avec autant de perspicacité que de finesse, l’étude délicate de certains grands problèmes psychologiques ou sociaux du monde contemporain.

Brillant causeur, homme affable et bon, M. Maurice Donnay a vieilli entouré de l’estime et de la sympathie de tous ceux qui le connaissaient. Soucieux d’éviter aux serviteurs de l’art et de la pensée une vieillesse difficile après une vie laborieuse, il s’intéressait à des œuvres diverses et trouvait là l’occasion de montrer la bonté de son cœur et la sûreté de son jugement. Siégeant ici depuis trente-cinq ans, il était devenu récemment, par la mort de M. Hanotaux, votre doyen d’élection. Avec lui disparaît un des derniers représentants de cette brillante phalange d’écrivains qui illustrèrent les lettres françaises, il y a un demi-siècle. Sa mort est un grand deuil pour l’Académie et pour la France entière.