Rapport sur les concours littéraires de l'année 1955

Le 15 décembre 1955

Georges LECOMTE

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE

DU JEUDI 15 DÉCEMBRE 1955

Rapport sur les concours littéraires

DE

M. GEORGES LECOMTE
Secrétaire perpétuel

 

 

L’Académie française est heureuse de signaler que, par un décret récent, le Gouvernement français vient de réduire de 50 % les tarifs postaux applicables à l’exportation des livres édités en France.

C’est notre confrère, Georges Duhamel, Président du Comité permanent du Livre français à l’étranger — siégeant au Quai d’Orsay — qui, par sa campagne menée avec une longue et ferme persévérance, a obtenu cette mesure de M. Édouard Bonnefous, Ministre des Postes, Télégraphes et Téléphones.

Cette mesure est importante, car le prix de nos livres hors de nos frontières était trop élevé à cause des frais de transport et, partant, certains pays pouvaient nous faire une concurrence facile.

L’effort de Georges Duhamel a été suivi par toute notre sympathie et nous sommes fiers de son succès, car le livre est le meilleur messager de la France. Or, ce n’est pas à l’heure où l’influence française est menacée que les témoignages écrits de notre pensée, de notre génie, doivent ralentir leur action. Georges Duhamel, au surplus, espère obtenir d’autres allégements.

La bonne nouvelle de cette réduction postale ne laissera pas indifférents nos lauréats qui peuvent espérer ainsi une diffusion plus étendue de leurs ouvrages couronnés.

Pour notre Grand Prix de Littérature nous avons élu M. Jules Supervielle.

Il a trois patries : la France, l’Uruguay... et la Poésie.

Il est né à Montévidéo de parents français, originaires d’Oloron-Sainte-Marie, en Béarn, qu’une épidémie lui enleva la même semaine. Son oncle et sa tante prennent soin du petit enfant et, dès qu’il sait écrire, il trace, à la Banque française montévidéenne de son cousin, ses premiers vers sur des registres de comptabilité.

Après plusieurs traversées d’Amérique du Sud en France, il est élève au Lycée Janson de Sailly, passe son baccalauréat, obtient le diplôme de licencié ès lettres, fait son service militaire dans notre pays. Pendant la guerre de 14, il est mobilisé comme auxiliaire pour raison de santé et comme interprète au contrôle postal pour l’anglais, l’espagnol, l’italien, le portugais. Ce polyglotte n’a jamais écrit qu’en français.

Après la guerre de 39, qui le surprend en Amérique latine, il revient en France comme attaché culturel de l’Uruguay parce que, selon la loi de ce pays, il est considéré, y étant né, comme citoyen uruguayen, alors qu’en France, il est Français (jus sanguinis).

Là-bas, dans cette terre que baigne l’Atlantique, il a puisé le besoin des grands espaces, a chéri le spectacle de la mer et, dans l’immensité des pampas, la liberté du corps et de l’esprit. Les circonstances ont fait de lui un grand voyageur et, si certains de ses récits nous conduisent aux rives de fleuves géants, à travers des paysages qui ne semblent pas à la mesure humaine, c’est dans le silence d’une vie intérieure à la fois frémissante et réfléchie qu’il a vu s’élaborer en lui-même une œuvre de noble qualité.

Dès ses premiers ouvrages, il se révèle poète métaphysicien. Toutefois il a bien indiqué — je le cite — qu’il « ne s’agit pas de pensée en poésie mais d’en donner en quelque sorte l’équivalent et la nostalgie ».

Aux problèmes que pose l’existence, il offre les solutions souveraines de l’esprit. Avec la Fable du Monde, il aborde, dans une sorte de poignante humilité, les grandes énigmes cosmiques. La réalité du monde extérieur, il la fait presque dépendre de la vision du sujet qui la perçoit. L’univers serait une création de nos yeux et de notre contemplation et qui tomberait dans le néant si nous cessions de le « penser ». Il fait dire à une étoile : « Si nul ne pense à moi, je cesse d’exister. » Vue de philosophe idéaliste, qui a l’intuition de rapports secrets unissant le monde matériel et l’esprit.

Comme le dit M. Claude Roy, dans une étude d’aiguë compréhension : « Aux lisières de l’univers de Supervielle rôde toujours cette menace des choses et des êtres abolis par un instant de distraction, par un affaiblissement de nos vertus d’attention, de tension, de sollicitude envers tout ce qui est. »

Par définition, un poète est un homme qui pénètre dans des domaines où les autres hommes n’entrent point. En effet, Jules Supervielle nous donne du monde des visions personnelles. Il saisit au vol le détail caractéristique, révélateur. Son regard va loin aux profondeurs d’amples perspectives qui pouvaient se perdre dans l’indistinct, les nuées, mais qui sont rendues à la terre par un chant d’oiseau, par le reflet d’un objet familier, par le bond d’un écureuil, la fuite d’une biche. Pour le dire en passant, M. Supervielle est un grand ami des bêtes qu’il aperçoit dans leur physionomie connue et dans leur valeur mythique.

Du mythe, du merveilleux, il a un sens qui lui dicte des contes comme Le jeune homme du dimanche et des autres jours, récit plein d’humour, d’imprévu, non exempt parfois de cocasserie, divagation charmante où l’on pourrait voir, en la pressant un peu, l’intention de prouver que la vie n’est que métamorphoses et, d’autre part, qu’elle n’est la vie que, bien entendu, frappée de lumière crue, mais colorée par les vapeurs chatoyantes et fantomales du rêve.

M. Jules Supervielle n’adhère d’ailleurs à aucun symbolisme ou surréalisme dans l’idée ou dans la forme. Son vers, s’il le libère de certaines contraintes, ne s’adonne à aucun hermétisme, à aucune recherche bizarre dans les rythmes ou dans un effet musical ne s’adressant qu’à l’oreille. Il ne veut exprimer que ce qui est au fond de lui-même et le communiquer au mieux. « La poésie, dit-il, ne doit pas être un rébus. Je me suis toujours refusé à écrire de la poésie pour spécialistes du mystère. »

Le grand trouvère des Ballades françaises, que ses pairs ont sacré « Prince des Poètes », Paul Fort, a préfacé, expliqué, situé les premiers livres de M. Jules Supervielle où, a-t-il précisé, « l’influence des classiques et des Parnassiens se faisait sentir ». D’ailleurs, M. Supervielle a confessé avoir été long à venir à la poésie moderne, à se découvrir tout à fait lui-même.

On ne peut déterminer quels furent ses maîtres. Il n’a voulu entendre que sa propre voix qui, depuis son recueil du début : Brumes du Passé, se développe dans Comme des Voiliers, Poèmes de l’amour triste, Gravitations, etc.

Mais il est aussi romancier et l’on ne saurait oublier : L’Homme de la Pampa, Voleurs d’enfants, Le Survivant, etc.

Il a abordé la scène en poète avec Sheherazade, Robinson, La Belle au Bois.

Mais comment ne pas signaler qu’alors surpris par la dernière guerre de l’autre côté de l’océan, il a dédié des poèmes à la France malheureuse, qu’il a donné une expression émouvante à nos douleurs pendant les sombres années de l’occupation, que son patriotisme angoissé lui a dicté des vers comme ceux-ci :

Les couleurs de ce jour sont tristes sans la France...
Je cherche au loin la France
Avec des mains avides.

Voilà une raison de plus pour que l’Académie ait honoré un homme qui honore lui-même les Lettres françaises et dont l’œuvre, toute d’élévation et de sincérité, réserve à ceux qui y pénètrent le battement de cœur de la découverte.

 

M. Michel de Saint-Pierre, lauréat de notre Grand Prix du Roman avec Les Aristocrates, dont on a beaucoup parlé, a publié auparavant deux livres : Le Monde ancien et La Mer à boire.

Certains personnages de ce Monde ancien, notamment un amusant maniaque d’érudition, fou de recherches, distrait et perspicace, reparaissent dans les Aristocrates, qui a semblé, d’ailleurs, un livre à clefs. M. Michel de Saint-Pierre s’est défendu d’avoir mis en scène des hommes et femmes de son entourage. Il a réuni quelques traits bien cueillis pour réussir de piquantes synthèses. Il fallait, d’ailleurs, qu’il vécût dans de certaines intimités, dans une certaine atmosphère pour que fussent dessinés, peints, gravés avec un preste crayon, des pinceaux joyeux et des burins à fines pointes, les types divers, et tous très vivants, d’une famille à blason, à grandes chasses, à château bourguignon dont les planchers et les toits menacent ruine, mais dont les murs ont six mètres d’épaisseur.

C’est cette solidité moyenâgeuse que, sur le plan humain, représente le père, vrai pater familias, imbu de droits comme régaliens, tenus de Dieu lui-même.

Ce marquis de Maubrun les exerce sur six fils et une fille, et bien que chacun ait son caractère, ses occupations et préoccupations propres, il leur a insufflé un même idéal de hauteur et ce qu’un grave doctrinaire, en appuyant sur l’M majuscule, appellerait le respect de leur Maison.

L’histoire est faite d’épisodes dont les plus savoureux sont ceux où se manifeste la malice des deux derniers fils, deux jumeaux de quinze ans, à l’impertinence argotique et aux inventions assez diaboliques.

Mais il y a aussi l’amour contrarié de la jeune fille qui voudrait épouser un faux prince héritier du nom de Conti, pris avec témérité — on n’a tout de même pas osé prendre celui de Condé. Le père tyran brise ce projet d’union et le cœur de sa fille momentanément, car elle se sent, malgré ses pleurs, appartenir au cercle fermé, à la masse bien cohérente des Maubrun. Aussi sera-t-elle, comme ses frères — même le banquier, réalisateur moderne, faiseur d’argent, comme un simple roturier — lorsque le chef de famille s’attendrira auprès d’une créature de grâce et de charité, sans particule ni aïeux. Et tous ils feront si bien qu’elle se sentira un élément étranger au conglomérat Maubrun et quittera la place non sans désespoir, et non sans désespérer le vieux châtelain dont l’acier de la cuirasse n’était tout de même pas sans défaut. Et c’est là une des excellentes nuances de psychologie qui confèrent la vérité à ce captivant roman.

Tous les types sont ainsi éclairés avec justesse, parfois impitoyablement, mais cependant avec le sourire, avec une verve élégante. Et l’on s’arrête à des trouvailles de style, à des définitions comme celle-ci : « Un Aristocrate, c’est d’abord celui qui parle avec légèreté de choses graves », ou sur cette image : « L’été pesait, bourdonnant et lourd comme si la Bourgogne eût été coiffée d’une ruche. »

D’un bout à l’autre, le livre va d’une allure cavalière avec pétulance, avec bonne humeur.

 

Un de nos Grands Prix d’Académie est décerné à Mme Gérard d’Houville. Née dans un cercle de poésie, elle est née pour la poésie, ce qui se manifesta lorsque, transportée par la splendeur d’un coucher de soleil, elle apporta, enfant de sept ans, ses premiers vers à son père, José-Maria de Hérédia, le poète des Trophées, ce qui le laissa stupéfait et incrédule.

Elle aurait pu, dans les Lettres, porter le nom célèbre de sa naissance ou celui, aussi glorieux, de Henri de Régnier, son mari.

Mais elle est Gérard d’Houville, et ce nom qu’elle a choisi évoque les plus délicieuses inspirations, le talent le plus pur, une œuvre à la fois de charme, de fraîcheur d’esprit et ces chants qui rendent tous les frémissements, tourments et enchantements du cœur.

Son premier recueil de vers, préparé sans impatience du succès, parle des inquiétudes, des hantises, des regrets, des peines de l’existence mais d’une voix aux inflexions, aux tonalités harmonieuses.

Puis ce furent des romans : L’Inconstante, Esclaves, Le Temps d’aimer, le tendre livre sur l’Enfant, écrits dans la prose la plus aisée, nacrée, ailée. Ce furent des Proverbes qui pourraient être d’un Musset rêvant, sans amertume, de choses inaccessibles et devenu mélodieux.

Puis, le poète, la romancière se sont mués en critique et, à présent, chaque mois, dans la Revue des Deux Mondes, Gérard d’Houville analyse avec précision quelques romans dont elle parle avec sympathie parce que la sympathie va plus loin dans les intentions d’un livre, comme dans les mouvements d’un cœur humain, que le parti pris d’épluchage sévère. L’on sait que lorsque fut créée l’Académie Mallarmé, pour rendre hommage aux poètes, Mme Gérard d’Houville fut des tout premiers élus.

 

Un autre Grand Prix d’Académie, est donné au chartiste et philologue, M. Albert Mousset, spécialiste de la politique étrangère. À la faveur, comme chargé de mission, d’un séjour de sept ans au-delà des Pyrénées, il a doté l’Espagne d’une Histoire qui a motivé ce jugement de l’important historien Alfonso Aldave : « Les Espagnols, indépendamment de vos travaux précédents, vous doivent un résumé si excellent qu’il n’a pas d’égal, non seulement chez les écrivains étrangers qui ont traité des choses d’Espagne, mais même chez les historiens de mon pays. »

M. Albert Mousset qui connaît une douzaine de langues, a utilisé six ans de résidence dans les Balkans pour établir une Histoire de Russie et réunir des données sur le Monde Slave, deux volumes qui font autorité.

D’autre part, avec la Correspondance de Longlée, ambassadeur de France auprès de Philippe II, et celle de l’ambassadeur d’Espagne Fernand Nunès auprès de Louis XVI, il apportait d’utiles révélations sur des époques critiques de notre histoire.

Ce très grand laborieux et clairvoyant chercheur a aussi des livres sur la Yougoslavie, l’Albanie, les pays Baltes, sur Paris, sur Versailles et les créateurs des eaux, ces Francine jusqu’alors ignorés.

Auteur de six à sept mille articles intéressant la politique européenne, M. Albert Mousset, par ses conférences à l’étranger, y a répandu la pensée française.

 

Grand Prix d’Académie encore, Mme George Day, qui a publié une vingtaine de volumes dans lesquels elle s’est affirmée fine observatrice de l’homme et de l’homme dans ses rapports avec les autres hommes. Ce qu’elle y a éprouvé de souffrances, elle l’exprime avec une force discrète dans ses poèmes et c’est moins une plainte individuelle que métaphysique.

L’attrait de ses biographies et de ses romans est principalement dans un choix de caractères forts qui se heurtent pour accéder aux sommets de la raison à travers les aventures du cœur et les exploits de la générosité. Son œuvre est animée par une sorte de soif de l’absolu et par le conseil de ne pas rester devant le malheur les mains vides ou les mains jointes, mais de dénoncer le mal et d’y remédier avec toutes les ressources de la bonté.

Dans ses vers, l’idée est ramassée en des pièces courtes, mais à longues résonances. Son style est concis, sans boursouflures, habile à serrer l’accord de l’expression avec les impulsions, d’ailleurs contenues, d’une sensibilité vibrante.

Mme George Day est, depuis des années, la Secrétaire générale de la Société des Gens de Lettres. Elle y prodigue quotidiennement une chaude activité d’entr’aide confraternelle.

 

Nous avons attribué notre Grand Prix Gobert à M. Henri Fréville pour son ouvrage L’Intendance de Bretagne. C’est un travail monumental : trois volumes de 400 pages chacun, grand format. Ce qui représente un gigantesque fichier, les plus patientes recherches, l’examen de sources sans nombre.

Il est constitué par une suite de monographies des principaux Intendants, depuis 1689, date où Louis XIV créa la fonction, jusqu’à sa disparition en 1790.

À travers ces monographies, on peut suivre le développement organique de l’Intendance, cet établissement d’une autorité nouvelle. L’Intendance de Bretagne en était le type et, comme le dit M. Fréville : « elle se présente à l’historien comme une administration dépendant d’une tête unique, l’Intendant, et formée de services de mieux en mieux différenciés et spécialisés qui constituèrent les bureaux ».

Les Intendants furent très attentifs à maintenir les prérogatives du pouvoir royal, qu’ils représentaient en quelque sorte, tout en envisageant les rapports du gouvernement central avec les Assemblées des Provinces.

L’auteur montre avec une parfaite clarté comment s’est formée l’administration provinciale, quel esprit l’a animée, de quelle continuité elle a bénéficié en dépit des crises et des difficultés, comment elle a servi de modèle aux Préfets de Napoléon.

Cette savante contribution à l’histoire de France est conçue dans l’esprit le plus impartial.

 

M. Armand Sauzet a reçu le second Prix Gobert pour son émouvante histoire de Desaix, ce grand soldat qu’on appela pendant la campagne d’Égypte « le Sultan juste » et dont le nom s’attache à la victoire de Marengo où un boulet le tua. Jeune aristocrate, il avait refusé d’émigrer et il combattit, avec quel élan ! dans les armées de la Révolution. Il était déjà célèbre quand paraissait Bonaparte et une des parties les plus attachantes de cette biographie de héros est cette rencontre et les rapports des deux hommes, dans le cadre des événements historiques présentés lumineusement.

 

Le Prix Thérouanne est allé à M. Jean Fourcassié qui nous fait estimer avec justesse Villèle, languedocien de noblesse terrienne, ministre pendant six ans sous Louis XVIII et Charles X.

D’abord royaliste intransigeant, ultra des plus décidés, il devint, ayant à compter avec les faits, un grand modéré de la Restauration, en butte aux attaques des extrêmes, un ministre parlementaire, fidèle observateur du nouvel ordre constitutionnel.

Il restaura nos finances, et les gouvernements les plus divers ont suivi ses règles budgétaires et de comptabilité.

M. Fourcassié a rétabli dans sa vérité un homme d’État dont nous savions peu de choses et il nous a ouvert des vues nouvelles sur une période historique.

 

Nos suffrages, pour un autre prix d’Histoire, ont été à M. Georges Toudouze qui nous donne du Bourguignon Monsieur de Vauban l’image d’un homme complet.

Né petit gentilhomme, Sébastien Leprestre de Vauban, ce constructeur de places fortes, de bastions, qui, en un temps de menace européenne contre la France, assurèrent la défense de nos côtes de Dunkerque à Bayonne et celle d’autres villes en péril, était aussi chef militaire, tacticien, administrateur, topographe, géographe, géologue, archéologue, mathématicien et finalement réformateur.

Toujours curieux de tout, toujours serviable et empressé à protéger le faible contre les abus de la force, cet homme de clairvoyance, d’une vitalité de corps et d’esprit exceptionnelle, d’une prodigieuse faculté de compréhension et d’invention, mais d’origine obscure, qui, de Commissaire aux fortifications devint Lieutenant général, dictateur de la terre et de la mer, puis Marquis, Maréchal de France et, fait unique, Chevalier de l’Ordre réservé à la « naissance » ce qui le portait au sommet des hiérarchies, ce grand Français restait un homme simple, un « homme comme les autres, dit M. Toudouze, avec cette seule différence, infiniment plus modeste que beaucoup d’autres ».

Infiniment plus courageux aussi quand, par exemple, il fut sans prudence après la Révocation de l’Édit de Nantes et en contradiction ensuite avec les mesures de persécution contre les huguenots.

« Personne n’a été, selon la parole de Fontenelle, aussi souvent que lui introducteur de vérité. »

Cela lui coûta finalement la faveur de Louis XIV, une sévère disgrâce lorsqu’il publia La Dixme royale, audacieux projet de réforme des impôts répartis avec plus de justice, ce qui équivalait à une révolution et qui ameuta les traitants et tous les profiteurs du régime. Cette disgrâce n’alla pas jusqu’à la Bastille, mais Vauban ne survécut pas à l’ostracisme.

Le livre de M. Georges Toudouze est un brillant laurier à déposer au pied de la statue de Vauban, d’Avallon, dont s’honore cette charmante ville.

 

Pour le Prix Muteau, destiné à signaler des écrits sur les actes de courage ou d’héroïsme français, nous ne pouvions mieux désigner comme bénéficiaires que Mme Olga Wormser et M. Henri Michel. Ils ont réuni les plus émouvants, les plus tragiques témoignages sur le martyre et la résistance des Français dans les camps de concentration allemands. Une exposition documentaire sur cette question bouleversante avait été organisée par M. Henri Michel, au Musée pédagogique dont il est le directeur. Le spectacle était terrifiant d’images comme sorties d’un enfer à peine concevable. Il est bon, il est nécessaire que soient rappelées, avec des soucis d’historien, des faits dans un esprit d’exactitude, qu’un livre ait été composé sur la déportation, que soit ainsi transmis aux générations futures le souvenir d’un drame sans précédent au cours des siècles, même aux temps les plus barbares.

 

Une autre partie du Prix Muteau a été réservée pour M. A.-H. Boullet qui raconte la brève existence et la mort de vingt-huit de ses camarades de Saint-Cyr, sur les quatre-vingts déjà tombés au champ d’honneur depuis vingt ans à peine et qui se sont dévoués « jusqu’à en mourir », car tel est le titre de ce livre qui est préservé de toute monotonie par un souffle d’héroïsme et une jolie langue.

Le Maréchal Juin souhaite, dans sa préface, que ces 500 pages qui honorent des Morts exemplaires soient répandues parmi les Jeunes qui sont sur le point d’entrer dans la carrière des armes, afin de fortifier leur cœur et d’inspirer leurs résolutions. Ajoutons que c’est là un témoignage à faire connaître pour préserver du doute sur la pérennité de la valeur française.

 

L’Histoire de la Littérature française du Symbolisme à nos jours, donc d’un bon demi-siècle des Lettres de notre pays, cet immense travail de M. Henri Clouard est récompensé par une moitié du Prix Dupau.

Il faut se représenter avec un étonnement admiratif l’effort de lecture, de triage, de classement, de comparaisons, mais l’éloge doit aller plus haut, vers le discernement, les explications pertinentes, en un mot vers un sens critique qui va loin dans la science de dissection, dans la pensée de chaque auteur, cela avec une honnêteté non étalée, mais sensible et une constante liberté d’opinion.

M. Henri Clouard a rangé par catégories les écrivains sans nombre, dont certains sont peut-être à tort oubliés ou peu relus. On sent que M. Clouard aime les livres où il y a substance et soins d’accomplissement, sans obéir à des procédés de facture et qui, par là, ont chance de survivre aux modes.

Ce qui se dégage de sa vaste exploration c’est que, malgré certaines apparences ou excentricités d’écoles, notre littérature n’a pas eu de véritable solution de continuité. Si le Symbolisme a agi dans le sens d’une réaction contre les outrances du Naturalisme, il n’a pas été un bouleversement, n’a pu détourner de sa pente naturellement classique et cartésienne le génie français. Cette histoire est remarquable par ses vues d’ensemble sur toute une époque comme par sa perspicacité à l’égard des individus, des groupes et des idées.

 

M. Yves-Gérard Le Dantec, reçoit l’autre moitié du Prix Dupau. Fils de marin et neveu du biologue-philosophe Félix Le Dantec, il a interrompu sa préparation à l’École Normale pour s’engager en 1916. Blessé grièvement en 1918 il fut l’objet d’une citation et reçut la Croix de Guerre.

Licencié ès lettres classiques, il débuta en littérature par un recueil de poèmes. Peu à peu il se spécialisa dans la critique de la poésie, dans les études sur la prosodie et la technique du vers.

On lui doit des éditions exhaustives de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Tristan Corbières, des articles sans nombre qui ont paru dans maintes revues. Ce travail considérable ne lui fit pas abandonner son œuvre de poète comme en témoignent son Aube exaltée et Frise, Épithalame, Ouranos. Il ne répudie pas les vieilles règles classiques mais les assouplit avec la musique fluide du Symbolisme. Cet hellénisant et latinisant s’attache aux fables antiques mais en rapprochant de nos inquiétudes certains grands mythes.

 

Le Prix Louis Barthou consacre l’œuvre de M. Raymond Schwab. À soixante-cinq ans il a passé sa thèse de doctorat ès lettres, sur la Renaissance orientale, c’est-à-dire sur les débuts de l’Orientalisme avec les premiers Indianistes. La thèse que l’on appelle secondaire était une Vie d’Elémir Bourges, écrite avec ferveur et une aiguë perception de l’âme et de l’intelligence brûlantes de cet artiste à l’idéal si exigeant, de ce dévot des Lettres et de toute grandeur et beauté.

Mais M. Raymond Schwab avec son titre universitaire ne souhaitait que rester écrivain. Il a créé un genre, celui des biographies imaginaires, qui ne sont pas des mystifications, mais une histoire de ceux qui auraient dû vivre. Son Mathias Crismant en est un brillant modèle. Et il semble si réel que des lecteurs réclamaient aux libraires les couvres de ce poète méconnu.

Contes, romans, la Vision d’un âge d’acier, vision dantesque où tinte, en mâles cadences, le glas des agonies de 1914, une autre épopée dialoguée sur Nemrod, « l’homme qui ne veut pas mourir », vaste ensemble de plusieurs milliers de vers, une traduction des Psaumes, d’après l’hébreu, une Vie d’Anquetil Duperron, cet initié au culte des Parsis, qui mit en français le Zend-Avesta, quantité d’études, des conférences en Sorbonne et dans des Universités étrangères, on voit quelles furent les activités et les curiosités de M. Raymond Schwab.

M. Jean-Claude Brisville a confié, en deux cents pages, sous le titre : D’un amour, l’histoire d’une passion malheureuse. Nous sommes ici dans la lignée d’Adolphe, ce qui est un grand éloge. Cette confidence semble un peu faite pour se délivrer du poignant souvenir d’un chagrin. Est-ce un roman ? Est-ce une autobiographie ? Par la vérité, par l’analyse, par l’émotion, ce petit livre atteint au vif l’attention du lecteur et nous sommes heureux de le signaler par le Prix Max Barthou.

 

Comme, d’autre part, nous avons tenu à distinguer, par le Prix Alice Barthou, Le Bois perdu, de Mme Renée Jérôme Tharaud.

C’est un récit, je dirais presque un conte, où il semble que la poésie des paysages, que l’atmosphère enfantent seulement des amours séraphiques. Rose, l’héroïne, est « entêtée plus pour ses rêves que pour les réalités » et elle meurt, comme s’évanouirait une ombre légère, une créature éloignée de la vie charnelle. Voilà un livre qui se soustrait aux facilités du réalisme, à la mode des crudités, qui renoue avec une certaine tradition où la féerie des songes a le premier rôle, qui nous fait, sans fadeur, penser à des idylles de grâce, vraiment juvéniles. Au cours du récit, Rose s’entoure de jeunes êtres bien peints, dans leurs espérances vaporeuses, dans leurs destins tous mélancoliques qu’ils n’ont pas cherché à dominer — ce qui est dans leur tempérament — comme a bien su l’indiquer la romancière.

 

C’est pour l’ensemble de son œuvre que nous avons donné à Mme la Duchesse de La Rochefoucauld le Prix Botta.

D’abord sous le nom de Gilbert Mauge, elle a publié des poèmes, des romans, des essais dont les titres annoncent une tendance vers les plus sérieuses spéculations : La Vie humaine, Merveille de la Mort, Voyages dans l’Esprit, Les Moralistes de l’Intelligence, Le Droit à la Vie. Une assez hautaine discrétion y dissimule une sensibilité vite atteinte. Et c’est peut-être pour ne point trop y céder littérairement et aussi poussée par un goût de la justice, que Gilbert Mauge, renonçant à ce pseudonyme, a jeté le masque, d’ailleurs transparent, pour se vouer à une action sociale. Cette action, à la fois de courage et de sagesse, sans fracas mais sans concessions, elle l’a commencée et elle la poursuit en faveur de l’amélioration du sort des femmes. Elle a succédé à des pionniers qu’il ne faut pas oublier : les Léon Bicher, Léopold Lacour, Maria Deraismes, Hubertine Auclert, Maria Pognon, Marguerite Durand, Mme Jules Siegfried, Maria Vérone, et elle s’est dépensée par des conférences, des articles, la création d’un journal, la présidence d’une société : l’Union pour le vote des Femmes.

En même temps, car cela se tient, elle s’occupait d’éducation civique, de problèmes politiques. Au cours de nombreux voyages, elle prenait la parole pour exposer ou défendre des idées françaises sur maints sujets et elle rapportait des renseignements utiles sur des pays et des climats étrangers : Afrique noire, Canada, États-Unis, Norvège, Finlande, etc.

Mais son esprit grave et curieux la penche vers des œuvres de haute qualité, comme celle de Paul Valéry dont elle vient d’avoir l’art de donner l’image d’intellectualité subtile. Ce livre a été pour nous l’occasion de couronner toute sa carrière de distinguée propagandiste et d’écrivain.

 

M. Maurice Allem, à qui est attribué le Prix Broquette-Gonin, est un historien de la littérature. Avec des introductions et des notes savantes, il a édité le Cardinal de Retz, l’abbé Prévost, Beaumarchais Le XIXe siècle surtout a retenu son attention. Il a commenté Paul-Louis Courier, Michelet, Balzac, Musset (il est le président des Mussetistes) et il nous fait mieux connaître Sainte-Beuve par un Portrait où il nous le présente dans la diversité de sa nature, dans les incertitudes, les variations de son esprit en matière de littérature, de religion de politique. Il le suit dans sa vie de labeur, dans ses rapports avec ses confrères, ses amis, dans ses diverses tentatives amoureuses ou tentations matrimoniales. Auparavant, M. Maurice Allem avait fait passer sous la lentille d’un scrupuleux microscope, Volupté, le roman fameux de Sainte-Beuve, et y avait découvert toutes les allusions à l’aventure sentimentale de l’illustre critique avec Adèle, la femme de Victor Hugo.

Les Lundis, grâce à M. Maurice Allem, ont paru dans l’ordre chronologique et dans celui des sujets traités. Très précieuse édition.

 

Le Prix de Wisme de Wegmann a été attribué à Mme Henriette Charasson pour ses poèmes, son théâtre et sa critique. Elle occupe une belle place parmi les poètes chrétiens. Mais elle a chanté aussi les joies pures de la maternité, de la famille, avec Deux petits hommes et leur Mère et Heures du Foyer. Ses pièces en un acte réunies sous le titre : L’Amour et quelques couples, ont connu et connaissent des succès qui dépassent nos frontières et sont traduites en plusieurs langues. Dans ses volumes de poésies : Attente, Sur la plus haute branche, Le Sacrifice du soir, les critiques ont apprécié un art simple, direct, mais suave et d’une puissante émotion qui part tout droit de l’âme.

Mme Henriette Charasson a reçu des récompenses notables. Nous y ajoutons une nouvelle couronne.

 

Mme Antonins Vallentin qui, avec Henri Heine, Léonard de Vinci, Goya, Wells, nous avait entraînés vers de beaux climats d’art et de littérature, n’a pas quitté les hauts plateaux qu’escalade le génie en nous introduisant naguère, en guide pieux et averti, dans le Drame d’Albert Einstein, drame non seulement du savant apporteur de neuf, mais d’une conscience protestataire contre toutes déloyautés et violences, en particulier contre l’hitlérisme et ses forfaits.

Aujourd’hui, elle nous révèle le drame du Greco ou plutôt une peinture qui est elle-même un drame car on dirait qu’elle a sécrété, par la magie des pinceaux du Crétois, qui s’est naturalisé ibère au XVIe siècle, tout ce que les Espagnols d’alors ont pu avoir de sombre ascétisme, de spiritualité violente, de morbide cruauté.

Ce livre d’une science abondante, d’un métier sûr d’écrivain, ajoute de subtiles clartés aux explications, aux confrontations qui n’omettent rien. C’est un grand livre auquel était bien dû un Prix Carrière.

 

Le Prix Saintour est dévolu à deux volumes sur Le Jargon de M. François Villon : étude pièce à pièce, mot par mot, des ballades que Villon écrivit en argot. M. Armand Ziwès et Mme Anne de Bercy les ont traduites. Les liens qui rattachent ce langage au français du temps sont établis grâce à une érudition extraordinairement étendue. Le vocabulaire des Truands et Coquillards atteste, dans son pittoresque, leur richesse d’imagination et invention. Maints termes sortis de ce « jargon » sont maintenant dans le langage courant, sinon académique.

 

Le Prix Teissonnière signale l’excellence d’une biographie de Leconte de Lisle par M. Pierre Flottes. Elle donne l’idée la plus juste du robuste poète aux nostalgies profondes, aède de dieux et de civilisations disparus, à la fois plein de sérénité et voué à de tumultueuses méditations. « Absorbé dans la contemplation des choses impérissables, comme dit M. Pierre Flottes. Il demandait à l’œuvre d’art quelque chose de ce réconfort qu’un croyant demande à la prière. » Rien n’est négligé dans le parcours de cette existence fidèle au culte des pathétiques accents et des somptueuses sonorités.

 

Le prix Simon Henri Martin est affecté au Charles de Flahaut de Mlle Françoise de Bernardy.

On a beaucoup écrit sur ce fils de Talleyrand, père du duc de Morny, mais le sujet n’était pas épuisé, comme le prouve l’important travail de Mlle de Bernardy. Elle est allée aux sources manuscrites des Archives Nationales, des Ministères de la Guerre et des Affaires étrangères, et elle a ainsi dressé un portrait complet, plein de nuances. de ce vaillant soldat, bon diplomate, qu’aima Napoléon et lui fut fidèle, d’autre part séducteur, et Mlle de Bernardy traite avec discrétion ce côté d’une existence d’homme d’honneur qui n’affichait ses flatteuses aventures.

Une autre image de l’histoire politique et galante nous est offerte par M. Henri Valentino dans l’ouvrage qu’il a consacré à Mmede Condorcet, l’épouse du savant philosophe. D’une plume agile et consciencieuse, il a retracé le destin de cette aristocrate passionnément éprise de la doctrine des encyclopédistes, qui fut généreuse et spirituelle, parée de mille grâces aux jours de bonheur et courageuse dans l’adversité. Le prix Carrière est venu récompenser ce document plein d’attrait sur l’époque singulièrement mouvementée qui s’étend de la fin de l’ancien régime à la Restauration.

 

Parmi les romans, je citerai La Régente de Mme Renée Massip. C’est un réquisitoire sans merci, plein d’originalité et de sève, d’une fille contre une de ces mères incompréhensives, durement vertueuses, tyranniques, ivres d’autoritarisme, qui nous rappelle, bien que de type différent, celle dont se plaignit, avec dents et ongles, Poil de Carotte. Il s’agit ici d’une institutrice à la férule rigoureuse, qui ne plaisante pas sur la discipline. Présentée comme laïque 100 %, elle a surtout une âme d’inquisiteur qui serait janséniste implacable. Le portrait est dressé avec plus de brio que d’aigreur et certaines mœurs de province ou tics professionnels sont saisis sur le vif par un œil railleur qui retient le trait essentiel.

Le Dieu de colère, de M. Pierre Fabert, raconte la vie, la passion et la dispersion d’une petite communauté juive, du village d’Alba, qui se trouvait situé au pays des Balkans dans le creux des Carpathes. Court récit plein de poésie et de simple grandeur, mais aussi très bouleversant.

 

Le Taureau par les cornes, de M. Aimé Blanc, est un bon roman d’atmosphère qui met tour à tour en scène la terre et ses gens ; c’est également et surtout le plus angoissant des drames de conscience : l’innocent accusé à tort et qui ne peut survivre à l’opprobre public. Peinture forte et sincère du petit fermier bas-alpin avec un penchant vers la rêverie et l’amour de l’univers matériel.

 

La Meilleure Part, de M. Philippe Saint-Gil, ingénieur, nous révèle ce qu’est la vie d’hommes acharnés à la construction d’un barrage, et de tout ce qu’il fallut d’énergie, d’invention, de persévérance pour continuer une tâche formidable contre une nature hostile.

 

L’Homme nouveau, de Mme Schoell-Langlois, a cette particularité d’être à contre-courant des modes d’aujourd’hui car il pose en principe que le bonheur dans l’union du couple est d’accéder à une vie de plus en plus haute, non pas hors du siècle, mais dans les obligations, les devoirs de tous les jours. L’affabulation est servie par des soins de forme qui veulent demeurer dans le ton de la confession.

 

Nous avons couronné Le Soldat inconnu de M. André Marèse, soldat dont la vaillance est de combattre pour tout ce qui est justice, altruisme, paix entre les hommes et, par conséquent, de honnir la guerre. « La haine, dit-il, ne paie pas », alors que « seul l’amour est fécond ». La seconde partie de ce plaidoyer généreux donne la parole à des prophètes de la bonté, de la vérité, en regard de la glorification des convoitises de l’égoïsme et de l’exaltation des faux héroïsmes dans les déploiements de la force meurtrière.

 

Parmi d’autres prix, voici Les Sentiers des Vosges. Nous y sommes conduits par M. Robert Redslob. Ils sont bien attirants, tant nous est montré le charme des promenades dans ces montagnes d’Alsace, avec leurs forêts à l’odeur résineuse, leurs sites inattendus, leurs vallons, leurs rochers de grès rouges, leurs souvenirs druidiques et, sur un roc géant, le sanctuaire de Sainte-Odile...

 

Autre excursion ou plutôt voyage où nous sommes engagés par Mme Maraval-Berthoin, pour entendre Les Voix du Hoggar, échos, perçus à travers les vagues de sable, de sentences guerrières, de sentences d’amour et des sentences de fraternité du Père de Foucault dont, en cours de route, on salue le premier ermitage, une hutte de roseaux.

 

C’est à l’Orée de la Forêt de Sénart que Mme Hélène Fuchs s’est souvenue de maints paysages régionaux, ceux notamment son Berry natal. L’amitié, l’amour, le culte des disparus sont des thèmes pour sa versification d’un goût sûr, traditionnelle effort apparent, ce qui donne à ses alexandrins, aisance et plénitude

 

M. Pourtal de Ladevèze respecte aussi les règles traditionnelles de la prosodie, mais il leur imprime un élan lyrique bien à lui est la Couleur des Jours et des Regrets, qu’il sait nuancer, passe du soleil à l’ombre, de l’aurore au soir dans la douceur de la contemplation.

 

Presque chaque année, avec l’élégante discrétion qui caractérise les démarches de son esprit, le poète Guy Chastel, aveugle de la guerre de 1914, nous fait parvenir un recueil. Le dernier porte ce titre expressif : Harmoniques. Le poète y développe ses thèmes accoutumés, larges et simples en apparence, à la façon d’harmoniques du plain-chant. La pensée, soutenue par les nuances les plus délicates du Verbe, atteint très haut. En dehors des modes fluctuantes, la poésie de M. Guy Chastel s’inscrit dans la pure forme classique.

 

Les poèmes de M. Wilfrid Lucas sont une épopée spiritualiste. Il a construit par étages, pendant des années, jour après jour, et peut-être nuits après nuits, un monument littéraire qui a pour dessein d’unir l’amour de Dieu à l’amour humain en y projetant les lumières de la foi. Nous sommes heureux de favoriser encore par un de nos Prix d’Académie la montée de cet édifice dont le faîte est une Couronne de Joie, et pour lequel il a fallu le souffle d’un architecte aussi persévérant que soutenu par une vie intérieure invincible et une noble exaltation.

 

M. Georges Clément a reçu un Prix Montyon. Il avait quelque chose à dire et il l’a dit en maximes bien frappées par lesquelles il conseille une ascension vers les Sommets de l’Ame, ainsi qu’il intitule ses centaines d’apophtegmes, inspirés à un homme bon spectateur de la tragi-comédie humaine, ayant assez vécu pour être sans illusions sur les penchants des cœurs et des esprits ; mais qui ne verse ni dans le pessimisme, ni dans l’amertume. D’une plume acérée, non empoisonnée, il a jeté des remarques lapidaires sur ce que son expérience lui a. dicté pour offrir un lucide traité de sagesse.

 

Notre Prix de Poésie le plus important rend hommage à M. André Mary. Il a publié, depuis cinquante ans, des recueils de vers d’un art exquis et d’une inspiration personnelle où l’amour de la nature et l’intuition de ses secrets occupent le premier plan. M. André Mary est un ami de la solitude où il écoute les confidences des saisons, des bois, des rivières, des oiseaux, pour les traduire en strophes d’une eurythmie élégiaque, comme dans ses Forêteries, ses Rondeaux, dans tous les airs de sa flûte sylvestre, mélodieuse et passionnée, qui semblent accompagner les flâneries d’un sylphe.

Ce poète qu’aimait Moréas est un érudit qui a une connaissance profonde de notre vieux fonds français et qui a voulu se retremper aux sources de notre littérature nationale. Dans son manifeste de l’École gallicane, il a préconisé l’exploitation de textes du moyen âge, mais en évitant le pastiche. Il s’est adonné à un travail de mise en nouveau langage d’œuvres allant de Chrestien de Troyes à Jean de Meung, en passant par Joinville, et c’est une réussite, en prose allègre, drue, savoureuse, au long d’une vingtaine de volumes.

M. André Mary qui, en stances octosyllabes, a fort courtoisement apostrophé la Renommée, est en droit d’attendre d’elle ses plus favorables sourires.

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L’Académie française a toujours été attentive aux efforts des groupements et de la littérature régionalistes.

C’est pourquoi nous avons, cette année, attribué à l’Académie de Nancy, pour le 200e anniversaire de sa fondation, notre Médaille à l’effigie de Richelieu, et témoigné de même notre sympathie à l’Académie de Mâcon qui fêtait le150e anniversaire de son existence ; elle est une fervente gardienne de la mémoire de Lamartine, illustre enfant de cette cité bourguignonne. Et toutes les deux sont un centre qui s’enrichit d’études sur les traditions, les beautés artistiques, l’histoire des coutumes et l’histoire politique et sociale de la province.

D’autre part, nous ne saurions trop nous féliciter d’une précieuse amitié, celle du Canada. Il nous l’a prouvée pendant les deux dernières guerres, et il nous garde une émouvante fidélité avec ses quatre millions de Canadiens parlant français, comme par une production attachée à notre langue.

C’est précisément pour une œuvre de ce genre, intitulée Les tiers de la Culture, qu’avec notre médaille nous rendons hommage son auteur, M. Jean Désy, en même temps qu’à son Pays, dont il est chez nous le très sympathique Ambassadeur.

D’une manière générale et sans nous attarder aux différences d’origines, de religions, de langages, nous sommes très touchés des sentiments de tout le peuple canadien à notre égard.

De notre côté, nous faisons des vœux pour la brillante continuité d’une vie intellectuelle, d’une fructueuse activité créatrice, d’un bonheur, dans la Paix, la Liberté, dont le Canada offre l’exemple au Monde.