Rapport sur les concours de l'année 1865

Le 3 août 1865

Abel-François VILLEMAIN

RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1865.

DE M. VILLEMAIN,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,

Le 3 août 1865

 

 

MESSIEURS,

Chaque année justifie pour nous la pensée du philosophe bienfaisant qui a voulu seconder par des prix publics la tendance morale des lettres. Les talents répondent à cet appel et la vérité semble plus forte, en étant heureusement attestée l’Académie l’éprouve aujourd’hui, par le choix des ouvrages qu’elle réserve sur un concours très-nombreux. Elle suit de son estime et de ses regrets plus d’un nom qu’elle ne couronne pas ; mais elle désigne avec confiance ceux qu’elle a dû préférer. L’un est un érudit, un publiciste qui porte dans l’étude de l’antiquité des vues neuves et le talent d’écrire. M. Fustel de Coulanges, professeur d’histoire à la Faculté des lettres de Strasbourg, se fera lire après Montesquieu et Niebuhr. Dans une histoire abstraite, en quelque sorte, de la première civilisation grecque et romaine, sous ce titre, la Cité antique, il retrouve et dépeint à la fois ce qui est si loin de nous. Il fait comprendre, et il met en action cette société plus religieuse encore que civile, qui n’était que la famille agrandie, la tribu croissante par l’affiliation. De là, sans doute, une grande leçon sur la puissance des sentiments naturels et des pieux instincts du cœur, à côté même d’un culte erroné.

De là aussi de graves réflexions sur les caractères de la vertu sociale, et sur cette liberté antique, imparfaite sans doute, mais plus vraie, plus personnelle même, sinon plus imitable, que ne le suppose l’auteur. Dans toute cette analyse d’un passé si différent de l’avenir, le livre est plein de détails savants, d’où sortent des idées, et l’émotion y produit parfois l’éloquence. On le sent surtout, vers la fin de l’ouvrage, sous l’impression de la décadence grecque, et de la puissance romaine, autre forme de décadence, et enfin, à la lumière du nouveau droit humain, que le Christianisme apportait au monde. Près de cet ouvrage, l’Académie place une œuvre moins précise et moins sévèrement ordonnée, mais d’une influence heureuse et d’un art habile, dans un grand sujet. C’est le livre ayant pour titre : l’Idée de Dieu et ses nouveaux Critiques, par M. Caro. Livre de polémique, dira-t-on mais, de nos jours, quelle évidence n’a pas été contestée ? Et suffirait-il que la plus grande des vérités nécessaires ait été récemment altérée ou méconnue, pour qu’il faille par discrétion n’en pas signaler les nouveaux défenseurs ? Ce qui importe, c’est qu’une polémique inévitable soit toujours bienséante, qu’elle discute, sans accuser ; qu’en attaquant les taux systèmes, elle admette la liberté d’opinion, et le droit de l’esprit, non pas seulement au travail, mais à l’erreur qu’enfin elle n’exagère pas cette erreur, qu’elle en accepte parfois les inconséquences comme un désaveu, et soit impartiale à reconnaître le talent et la bonne foi qui peuvent s’y mêler.

Cette réserve, cette équitable courtoisie que l’apologiste de l’Idée de Dieu a portée dans ses réponses en a doublé la force et le mérite littéraire. Par là, ce livre, où de vieilles erreurs de matérialisme et de sophistique, renouvelées avec plus de raffinement par Hegel, sont encore une fois détruites, est en même temps une élégante exposition de philosophie spiritualiste et de pure esthétique, inachevée, sans doute, aux yeux de l’auteur qui en promet la suite, mais satisfaisante pour la méthode, et persuasive par l’accent du cœur, au tant que forte de raison. À cet ouvrage d’un effet moral et déjà populaire, l’Académie décerne un prix de 2,500 francs, comme à l’ouvrage d’un ordre élevé dans l’histoire, la Cité antique, par M. Fustel de Coulanges.

Un livre de littérature classique étudiée pour un but moral, un livre de savoir judicieux et fin, écrit avec art, les Moralistes sous l’Empire romain, par M. Martha, obtient le même honneur. Ici encore se retrouvent la recherche d’histoire et la leçon de philosophie, mais tempérées par cette modération élégante et ces vues de l’esprit, qui plaisent plus qu’elles ne démontrent. Dans ce travail, Sénèque, Tacite, Perse, Juvénal, gardent leur rôle de témoins éloquents de la conscience humaine sous le pouvoir absolu. La forme de leur génie fait partie de l’accusation de leur temps et dépose à l’appui de leurs récits vengeurs ou de leurs allusions indignées. Seulement le critique moderne ne s’anime pas, d’après eux, comme Diderot ou Thomas ; et il explique leur colère, plus qu’il ne la ressent, non par indifférence ; car il admire avec passion la vertu de Thraseas, et il semble ennemi des Panégyristes jusqu’à l’injustice, en appelant Pline le Jeune le plus méticuleux des orateurs. Mais il veut être surtout juge littéraire ; et il cherche dans les œuvres de la pensée moins une protestation de principes qu’une étude de mœurs et d’art.

C’est ainsi surtout qu’il décrit l’influence des rhéteurs grecs dans l’empire romain, de ces rhéteurs dont quelques-uns furent des philosophes, près du temps où Marc-Aurèle était empereur et philosophe. Epictète, Diochrysostome, Marc-Aurèle lui-même, cette puissance de la réflexion morale, dans la chute des institutions et des lois, cette action du stoïcisme devenant un culte et un apostolat, pour l’esclave dans les fers, pour le philosophe errant et banni, pour le souverain tout-puissant, dont il est la seule barrière, c’est là sans doute une curieuse époque de l’histoire. L’auteur n’en a pas également saisi tous les traits ; et quand il célèbre Lucien comme le dernier grand écrivain de la Grèce, il oublie que la moquerie de tout un ancien monde, sans l’invocation d’une foi nouvelle, n’est pas la grandeur et n’en peut mériter le nom. Mais il a fait rarement telle méprise. Le sentiment du bien, une justesse de raison mêlée de vues ingénieuses, le savoir vrai et, partant, le style naturel, recommandent cet ouvrage ; et l’Académie lui décerne un prix de même valeur qu’aux deux précédents.

Elle avait à considérer, dans un ordre de sujet presque analogue, un ouvrage plus étendu, plus varié de recherches, plus sérieusement historique par la forme, mais non plus impartial c’étaient les Antonins par M. de Champagny, ou plutôt, sous ce titre prédominant, tout ce qui, de Vespasien à Dioclétien, a rempli de tant de vicissitudes et de quelques grandeurs durables un peu plus d’un siècle de l’empire romain. Elle y retrouvait des conditions de récit déjà remarquées sous la même main, une ardeur d’étude, une curiosité de détails qui s’entretient par le zèle d’une cause à défendre, une préoccupation de cette cause qui la rend également vivante à toutes les époques, et la revêt dans le passé d’images actuelles et de couleurs présentes. Sans méconnaître la sincérité d’un tel travail, on peut parfois en craindre l’illusion et trouver plus d’un motif de doute, dans ce néologisme d’impressions et de langage.

Il faut l’avouer d’ailleurs, la partialité d’imagination si marquée dans le style de l’historien domine encore plus ses jugements des hommes et des faits. Trop indulgent pour la forme du pouvoir des Césars, pour cette élection instable, mêlée d’adoptions arbitraires, et cette dictature sans limites, et sans droits publics, il n’est pas juste pour quelques grands caractères qui contrepesèrent tant de maux. Il reproche à Marc-Aurèle d’avoir perdu l’empire romain, dont ce vertueux empereur étendit les frontières, releva la gloire, et prolongea ou du moins illustra la durée. Sans doute la pensée se plairait à l’image du Stoïcien couronné embrassant tout à coup le culte persécuté, dont il pratiquait les vertus. Mais le chaos du monde polythéiste, le fanatisme licencieux de la foule l’aurait-il souffert ? et faut-il imputer à mal le bien qui fut fait à l’humanité, en dehors de cette transformation impossible alors, impuissante plus tard à sauver l’Empire, mais qui régénéra les barbares ?

On peut contester aussi quelques digressions de l’auteur sur nos temps modernes, et sa persistance à nier, depuis le premier déclin du pouvoir religieux en Europe, toute amélioration dans les lois, tout progrès dans la société. Sachons plutôt reconnaître qu’après les divisions des sectes et l’oppression du culte, sont venus des temps meilleurs, des sécurités pour la Religion, comme des droits nouveaux pour la société civile, et que le respect constant, l’application de ces deux principes doit non retarder, mais assurer le mouvement du siècle et du monde.

L’ouvrage sur les Antonins, trop moderne pour la forme, trop exclusif dans la vue principale, n’en a pas moins d’imposants caractères d’étude et de talent que l’Académie a voulu reconnaître. Elle décerne à l’auteur une médaille de 2,000 fr.

Dans un ordre différent, sans la recommandation d’une opinion puissante, s’offrait un recueil de vers, inégal, négligé parfois jusqu’à la rudesse, mais parfois d’une verve aussi pure que pathétique et neuve. C’est l’œuvre d’un imitateur de Villon, plus moral que son maître, d’un talent laborieux mais inné, ayant souffert de l’obscurité du travail, dans de modestes emplois, puis arrivé par de nobles efforts à la liberté de l’inspiration et du loisir. Salut empressé à ces officiers de fortune des lettres, dont nous souhaitons que le nombre s’accroisse et que le rang s’élève ! Une médaille de 2,000 fr. est décernée par l’Académie à l’auteur religieux et poëte du testament de Marc-Antoine, à M. Antoine Campaux.

Viennent ensuite des ouvrages fort divers que distingue soit le goût de l’érudition mêlée à une admiration littéraire empreinte de sentiment moral, soit l’autorité du sens critique mûri par le savoir, soit l’emploi d’une invention heureuse à l’appui de vérités populaires. Un livre incomplet, d’un style parfois affecté, mais attachant, les Voyages de saint Jérôme, par M. l’abbé Eugène Bernard ; un livre de littérature étrangère, précis pour les recherches, libre pour les jugements, et toujours sainement écrit, sous ce titre : Lessing et le goût français en Allemagne, par M. Crouslé, professeur au Lycée Bonaparte ; un recueil de récits pour l’enfance, par un écrivain qui a grande expérience du sentiment moral et de l’accent d’imagination le plus puissant sur les âmes droites et simples, la Gerbée, contes à lire en famille, par M. Michel Masson, devaient être également réservés par l’Académie. Elle décerne à chacun de ces ouvrages une médaille de 1,500 fr.

Elle regrette de ne pouvoir nommer et couronner un plus grand nombre d’écrits destinés à l’enseignement du peuple, à part ceux dont le succès ancien et continu n’a pas besoin d’éloges.

Il y a bientôt un demi-siècle, un philosophe éloquent disait, ici même, à la jeunesse d’alors : « Le jour où la Charte fut donnée, l’instruction universelle fut promise ; car elle fut nécessaire. » Le sentiment de cette nécessité s’est accru, comme la sphère s’en est agrandie, dans le mouvement d’une partie de l’Europe, tel que le constataient naguères les rapports mémorables d’un président de l’Institut, organe de la science, autant que zélateur du progrès populaire. Souhaitons que les écrits appropriés à ce besoin social, dont se préoccupent le pouvoir et l’opinion, se multiplient pour y répondre dans des proportions utiles, pour le satisfaire et pour le régler.

Un concours fort différent, tout spéculatif et littéraire, une fois ajourné par la difficulté du choix, imposait à l’Académie un double examen. Le prix fondé en faveur d’un ouvrage de haute littérature était à décerner pour l’année passée et pour l’année présente.

Pour ces récompenses délicates et contestées, l’Académie a cru devoir accueillir des mérites fort divers, offrant quelque côté d’érudition ou d’art, se rapportant soit à l’antiquité classique, soit à quelque époque décisive de l’Europe moderne.

Pour le prix différé, elle avait reçu sous le titre, Histoire de la comédie primitive, une analyse de curieuses lectures, un travail d’archéologie multiple parcourant, depuis les jeux de la vie sauvage pris sur le fait dans le nouveau monde, comme un reste d’antiquités humaines, jusqu’aux splendeurs d’Athènes, allant du moyen âge d’Europe aux théâtres plus anciens de la Chine et de l’Inde, puis s’arrêtant surtout aux créations de la comédie grecque. C’était là, sans doute, œuvre d’érudit, mais œuvre aussi de penseur et d’écrivain, avec les négligences de forme qu’entraîne une curiosité si vaste et si libre.

Le nom respecté de M. Edélestand Duméril désignait ce travail à ceux même qui pouvaient hésiter sur le droit de paraître, en les approuvant, reviser tant d’études originales.

Seulement à côté de cette œuvre savante et en regard de la plus importante section qu’elle renferme, l’Académie rencontrait une œuvre poétique inspirée des mêmes souvenirs, une traduction en vers de scènes d’Aristophane, traduction épurée sans doute, traduction par fragments choisis, mais par là même très-variée, de la parodie moqueuse à l’accent lyrique, de la satire à l’apothéose, de la fiction la plus folle à la plus impitoyable raison.

Préparé à ce travail par une version entière du Plutus, le traducteur a souvent atteint dans ses vers précis et familiers le sens outré le caprice, l’expression forte et populaire de son Aristophane ; il l’admire avec goût dans quelques notes il le loue encore mieux par quelques reflets de cette lumière de poésie grecque et d’esprit athénien sur un dialogue français de tour naturel et libre.

Devant ces mérites, l’Académie a voulu marquer deux fois son estime pour la science profonde et pour le vif sentiment de l’antiquité. Elle ne compare pas ; mais elle partage le prix entre l’érudition curieusement originale et l’imitation habile avec naturel, entre l’Histoire de la comédie primitive par M. Edélestand Duméril et les scènes choisies d’Aristophane traduites en vers par M. Fallex. Le prix de la même fondation, pour la présente année, ne sera pas moins justement réparti. L’Académie a distingué trois essais présentés ensemble par M. Jules Bonnet, dans un ordre d’idées semblables et sur des époques qui se touchent. L’un déjà connu, mais plus développé, retrace un épisode de la Renaissance en Italie sous le nom d’Olympia Morala, jeune fille helléniste, poëte et protestante à la Cour de Ferrare, d’où elle fuit en Allemagne pour y trouver plus de troubles et de malheurs. Un autre récit est la vie et la mort d’un savant Italien, disciple de l’antiquité et de la réforme, ami de quelques savants cardinaux sous Léon X, et victime de l’Inquisition sous un pontificat moins lettré. Enfin un autre volume, « Récits du XVIe siècle », touchant encore à l’Italie par le val d’Aoste, asile de Calvin, est surtout destiné à écarter du célèbre sectaire français le reproche d’inflexible rigueur. Si l’auteur n’a pu effacer le nom de Michel Servet, il fait cependant ressortir de la vie privée de Calvin, de ses amitiés, de ses lettres quelques graves et bien honorables témoignages. Nul ne doit regretter cette justice rendue. Mais l’auteur devait-il oublier, ou peut-il supprimer, en les oubliant, les injures trop mêlées par le réformateur à ses raisonnements, et parfois si funestes à ses adversaires et à la liberté religieuse qu’il immolait lui-même, par leur proscription ? Près de ce travail, où le blâme dû aux erreurs même de ceux qu’on admire, n’est pas assez exprimé, mais qui respire d’ailleurs un sentiment d’équité dans le zèle, l’Académie place un autre écrit animé de cette jalousie de liberté religieuse dont s’honore notre temps, c’est le neuvième volume de l’Histoire d’Espagne, de M. Rosseuw Saint-Hilaire, racontant les tyrannies d’inquisition et de guerre de Philippe II contre les Pays-Bas et la Hollande.

L’Académie partage entre ce récit d’une éloquente véracité et les intéressantes études d’histoire, de M. Jules Bonnet, le prix de cette année, pour un ouvrage de haute littérature.

Rien ne répond mieux à ce titre que de savants et libres témoignages rendus avec talent à l’esprit de tolérance, sous la condition surtout que cette tolérance soit générale, autant que sincère, qu’elle reconnaisse partout, dans certaines limites, des droits supérieurs à la force, et, dans l’ordre spirituel, une autorité religieuse d’autant plus inviolable qu’elle est plus désarmée.

Honorons cet esprit sous toutes les formes, dans l’époque présente, et sous la forme historique, par la justice envers le passé. À travers les progrès du temps, les révolutions de l’opinion, il est donné à notre siècle de mieux juger les événements de notre histoire et d’en faire un récit plus équitable. Parfois il a réhabilité ce que dédaignait ou ignorait le XVIIIe siècle. Parfois aussi, il a découvert bien des maux et des souffrances sous d’éclatants souvenirs.

Cette clairvoyance du passé, accrue par la distance même, nous la rencontrons dans le concours fondé par le baron Gobert. Le prix si bien placé, depuis trois ans, sur le travail curieux et nouveau de M. Camille Roussel : « L’Histoire de Louvois, et de son administration politique et militaire jusqu’à et depuis la paix de Nimègue, » est aujourd’hui transféré, dans d’autres conditions, à une œuvre différemment distinguée, non plus l’étude approfondie d’une époque de gouvernement, mais l’abrégé bien conçu, rapide et à propos expressif de la vie d’un grand État, pendant plusieurs siècles, d’après l’étude attentive de ses chroniques, de ses mémoires, de son Église, de sa magistrature, de sa formation complexe, de ses règnes agités, sans être trop courts, et du principe vital qui fit son unité croissante et sa force invincible.

Ce livre, avec trop peu de détails sur la Gaule Romaine, a paru, de l’invasion des Franks à la moitié du règne de Louis XIV, offrir en quatre volumes, sans sécheresse et sans déclamation, une histoire de l’ancienne France, où ne manque aucun événement décisif, aucune figure à retenir, et où celle du peuple ailleurs trop oubliée est souvent présente au récit et à la pensée.

L’âme du livre est dans l’esprit religieux de l’auteur. Mais cet esprit se liant de lui-même à l’influence sociale du culte sur une nation guerrière lentement civilisée, ne semble que mieux assorti à la peinture de ces grands règnes de temps demi-barbares ou si violemment tourmentés, Charlemagne, Hugues Capet, saint Louis, Philippe-Auguste.

Si l’auteur exagère ce qu’il nomme le droit public du moyen âge en le définissant d’après un paradoxe moderne, bien plus que par la tradition et par Bossuet, cette erreur, dont il aura plus tard à se défier, n’affaiblit pas l’intérêt moral et le sentiment élevé de son ouvrage.

Ce sentiment s’accroît à mesure que l’auteur avance vers la lumière. Il étudie avec scrupule, raconte avec âme, juge avec une ferme raison les guerres imprudentes de la France et ses guerres civiles, le règne brillant et malheureux de François 1er, les troubles qui suivirent, et, après tant de maux, le génie réparateur de Henri IV.

À partir de cette époque, l’histoire, devenue plus politique, plus chargée d’événements, de problèmes et de témoignages, n’est pas moins habilement résumée par le nouvel écrivain. Il intéresse, en abrégeant ; il peint avec les couleurs vraies du passé, et il juge avec l’expérience. Louis XIII et Richelieu ont, dans ces récits, leurs missions de condescendance sensée, quand elle n’était pas extrême, et d’activité créatrice et les faits s’expliquent d’autant plus que les caractères sont mieux compris.

La Fronde et Mazarin, l’état social de la France, sa puissance au dehors, tout autrement grande que son bien-être, ne sont pas décrits avec moins de vérité, et le nouveau règne, ainsi préparé, offre, dans l’importance des événements, et bientôt dans le travail du prince, dans sa diplomatie et ses lois, dans les triomphes de la guerre et le luxe de la paix, un spectacle que relève l’éclat des arts et des lettres, si cher et si conforme au génie français.

L’Académie décerne à l’ouvrage sur l’histoire de France, par M. Auguste Trognon, le grand prix fondé par le baron Gobert, qu’ont obtenu parfois des travaux illustres, et toujours des travaux dignes de l’estime publique.

Le second prix de cette fondation, le prix décerné deux fois à une excellente étude sur les mémoires et l’histoire en France, par M. Caboche, inspecteur de l’Université, est également transféré. L’Académie le croit justement dû à l’œuvre savante et pratique, au fragment précieux d’histoire indigène et de géographie militaire publié sous ce titre : les Frontières de la France.

L’auteur, M. Lavallée, maître célèbre dans un grand établissement de l’État, l’école de Saint-Cyr, a traité souvent et habilement de notre histoire, jamais dans une vue plus patriotique, plus sensée, et avec plus d’équité pour tous. Le titre de cet écrit en marque la portée politique. Juste envers tous les temps, l’auteur rappelle, à diverses dates, les malheurs, les périls de la France et son retour tantôt graduel, tantôt plus rapide vers l’unité nécessaire et la force concentrée de son puissant territoire. Au midi, la France a récemment recouvré ses frontières naturelles. Au nord, elle s’en était créé de toutes militaires, qui ne pourraient plus croître qu’en étendue et n’en ont pas besoin pour être invincibles. C’est la pensée de satisfaction nationale, où s’arrête l’historien, sans borner là son espérance, mais n’en voulant demander la suite qu’à l’ascendant de la justice et de la paix.

À ces prix, destinés aux libres publications du talent, l’Académie regrette de ne pas joindre celui qu’elle avait annonce sur un sujet de son choix. Elle avait proposé comme souvenir du sol de la patrie le nom de Vercingétorix pour un concours poétique. Mais la poésie fait souvent défaut là où ne manquent pas d’autres hommages.

Sur un très-grand nombre de pièces de vers, l’Académie n’a pu réserver que peu d’essais trop faibles encore. Elle n’a voulu dès lors ni décerner le prix, ni prolonger l’épreuve. Elle désigne seulement par une mention publique et une médaille de 1,000 fr. prélevée sur le prix, une pièce de vers où l’inexpérience de l’art n’a pas empêché quelques heureux signes de talent, quelques nobles vœux exprimés, comme ils étaient sentis. C’est la pièce inscrite sous le n°97 et portant pour épigraphe : « Vercingétorix avait trop de patriotisme pour devoir son élévation à l’avilissement de son pays et pour l’accepter des mains de l’étranger. M. Thierry, Hist. Des Gaulois.) » L’auteur est un studieux ami des lettres, M. Delphis de la Cour, dont le nom s’est honoré déjà par d’autres essais.

Un autre concours, une fois prorogé, n’a pas rempli l’attente de l’Académie. Elle avait proposé une comparaison critique, et par là même, une conciliation entre les principes essentiels de goût et les variétés du génie, dans la diversité des peuples et des siècles. C’était la défense à la fois de la tradition et de la liberté ; c’était la recherche des lois premières de l’esprit et les droits de l’invention originale ramenés souvent à ces lois mêmes.

Traitée dans plusieurs mémoires avec une sagacité plus ou moins érudite, parfois trop mêlée d’allusions présentes, la question n’a pas été épuisée. L’œuvre demandée n’est pas faite. Mais un mémoire, n°1 avec cette épigraphe d’Aristote : présente, sous une forme simple et sévère, des rapprochements justes et des idées vraies. L’auteur pourra plus tard étendre et animer davantage ce travail. L’Académie le désigne, dès ce moment, par une mention et une médaille détachée du prix proposé. L’auteur qui s’est fait connaître est M. Chaignet, couronné d’un premier prix dans un autre concours de l’Académie et aujourd’hui professeur à la Faculté des lettres de Poitiers. Un Mémoire inscrit sous le n°4 avec cette épigraphe :

Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable : facile et judicieux dans les développements, ami de la règle sans servitude, et varié de souvenirs, mais trop peu nouveau de recherches et de vues, obtient même récompense sur la valeur du prix. L’auteur est M. Albert Desjardins, agrégé à la Faculté de droit de Nancy. Son nom reçoit une mention d’honneur, comme le précédent ; et la question n’appartient plus qu’au jugement du public.

Ce jugement, Messieurs, l’Académie souvent le consulte ou le suit ; et c’est ainsi qu’elle règle plus d’une récompense, dont la disposition lui est laissée. Aujourd’hui même elle avait à décerner le prix de la Fondation Lambert, pour un homme de lettres digne d’une marque d’intérêt public. Sous cette expression peu déterminée, elle place volontiers la promotion de l’esprit par lui-même, l’homme du peuple devenu, sans études premières, homme de lettres par un travail tardif, et portant à des œuvres de théâtre le sentiment moral, dont il s’est inspiré dans le labeur de la vie. À ce titre, elle a choisi, cette fois, pour le Lambert, l’auteur applaudi et justement estimé de quelques drames récents, M. Édouard Plouvier.

L’Académie, dans les prochaines années, aura bien des récompenses littéraires à décerner, bien des prix à proclamer. Il en est un qu’elle doit signaler aujourd’hui, quoique la date en soit encore différée à trois ans. C’est l’emploi désintéressé, le placement libéral qu’a fait M. Thiers du grand prix décerné par l’Institut à son Histoire du Consulat et de l’Empire. Rendu aux lettres par M. Thiers, qui garde l’honneur des suffrages et du choix, ce prix, si personnel à l’historien, demeure un bienfait public et va, pour l’avenir, doter d’un concours triennal cette littérature historique, dont notre siècle s’honore et dont il rajeunit à la fois la matière et la forme.