Funérailles nationales de M. le maréchal Foch

Le 26 mars 1929

Raymond POINCARÉ

FUNÉRAILLES NATIONALES DE M. LE MARÉCHAL FOCH

MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
ET DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES

Le mardi 26 mars 1929

DISCOURS

DE

M. RAYMOND POINCARÉ
MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
PRÉSIDENT DU CONSEIL

 

 

MONSEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE,
ALTESSES,
MESSIEURS,

Durant les longues semaines où, par un dernier prodige de vigueur physique et morale, le maréchal Foch a résisté pied à pied aux assauts de la mort, la France, refusant jusqu’au bout de le croire vaincu, n’a pas mesuré le vide que devait laisser dans le monde la perte de ce grand homme. Nous voici maintenant en présence de la douloureuse réalité, et, tout de suite, nous comprenons que la flamme qui vient de s’éteindre était une des plus ardentes et des plus pures qui eussent jamais jeté leur éclat sur la terre.

Comme beaucoup d’autres nations, la nôtre compte dans ses annales un grand nombre d’illustres capitaines, et Foch retrouvera plusieurs d’entre eux dans la célèbre chapelle où il va dormir son dernier sommeil. Il avait certes toutes les fortes qualités qu’à l’époque même où Mansard venait d’achever l’église Saint-Louis des Invalides, Bossuet énumérait comme les traits caractéristiques d’un héros, « valeur, magnanimité, bonté naturelle ; — vivacité, pénétration, grandeur et sublimité du génie ». Il possédait par surcroît « ce don inestimable de la piété », que l’orateur catholique considérait « comme le tout de l’homme ». Mieux que personne aussi il savait que « dans les grandes actions, il faut uniquement songer bien faire, et laisser venir la gloire après la vertu ». Mais, avec tous ces mérites, il en a eu d’autres, qu’il a reçus en partie de sa propre conscience, en partie des événements et des mœurs contemporaines, et qui lui ont donné, par rapport à ses prédécesseurs, une immortelle supériorité. Porté, sans avoir cherché cet honneur, au commandement de millions de soldats alliés, il a conduit à la bataille des peuples entiers, non par orgueil, mais par obligation morale, non pour la conquête d’un sol étranger, mais pour la délivrance de pays envahis. Il n’a eu d’autre ambition que de servir ; il n’a voulu d’autre récompense que le sentiment du devoir accompli. Et voilà pourquoi le deuil où nous sommes aujourd’hui plongés n’est pas seulement le deuil de ceux qui l’ont connu et qui l’ont aimé, ou de ceux qui l’ont vu à l’œuvre, ou de ceux qui ont servi sous ses ordres ; c’est celui de la France et d’une grande portion de l’humanité civilisée. Il est significatif qu’au premier rang des visiteurs qui sont venus, à la nouvelle de sa mort, saluer la dépouille mortelle, se soient trouvés l’illustre homme d’État qui a été en France le chef du gouvernement de la Victoire et l’admirable souverain qui, dès le début de la guerre, a incarné devant l’univers l’éternelle justice.

S’il vous avait été donné, Messieurs, de parcourir les messages de sympathie qui sont parvenus ces jours-ci, de tant de points du globe, à M. le Président de la République et au gouvernement, vous éprouveriez, devant cette unanimité de la reconnaissance et du respect, une émotion faite à la fois de tristesse et de douceur, et vous vous diriez qu’un tel homme, si affreuse que soit sa perte, ne disparaît pas tout entier, et qu’il laisse derrière lui un exemple impérissable.

Né à Tarbes d’une famille languedocienne, élevé à Saint-Étienne et à Metz, marié en Bretagne, Foch semblait destiné à personnifier, par l’harmonieuse diversité de ses attaches françaises, l’indivisible unité de la patrie. Surpris clans sa dix-neuvième année par la guerre et l’invasion, il quitte le collège messin de Saint-Clément et s’engage pour la durée de la campagne, mais avant d’être envoyé au feu, il assiste à la défaite et au démembrement de la France. Admis, après la signature du traité de Francfort, à l’École polytechnique, il garde profondément gravé dans la mémoire le souvenir de ces jours tragiques et se promet de consacrer au redressement de la France tout ce qu’il y a en lui d’intelligence et de volonté.

Élève à l’École d’application d’artillerie, à l’École de cavalerie de Saumur, à l’École supérieure de guerre, il cherche partout à développer ses connaissances techniques et générales et, à mesure qu’il avance dans la carrière militaire, il ne cesse d’enrichir son âme par l’étude et la réflexion.

Lorsque, en 1895, il revient à l’École de guerre pour professer lui-même, les leçons qu’il y donne ne constituent pas seulement une savante initiation à la tactique et à la stratégie ; elles contiennent aussi et surtout l’exposé méthodique d’une forte doctrine. Pour Foch, il n’y a de véritable supériorité que celle du caractère. Il prend hardiment la défense de « ces grandes abstractions qui sont le devoir et la discipline » ; et il résume ses idées maîtresses en quelques définitions saisissantes : « La guerre, département de la force morale ; la bataille, lutte de deux volontés ; la victoire, supériorité morale chez le vainqueur, dépression morale chez le vaincu. » Il prend soin toutefois d’ajouter que ni la clairvoyance ni l’énergie ne suffisent au chef ; il lui faut encore la rare faculté de communiquer l’esprit qui l’anime aux troupes qu’il a sous son comman­dement. Il doit donc connaître ses hommes, les comprendre, les aimer et maintenir entre eux et lui cette confiance mutuelle, plus indispensable encore à une armée nationale qu’à une armée de métier, et seule capable de donner à l’obéissance militaire toute sa grandeur et toute sa beauté.

Tel est, en raccourci, l’enseignement du maître qu’aux heures incertaines de la paix, Georges Clemenceau, par une sorte de divination, a nommé directeur de l’École de guerre. Quelques années plus tard, Foch obtient la troisième étoile et, au mois d’août 1913, il est placé à la tête du vingtième corps, dans cette ville de Nancy, devenue depuis nos échecs la voisine désarmée d’une frontière imposée par la force. Comme tous les Français, il est si éloigné de desseins belliqueux et si peu disposé à caresser des idées de revanche que, plus de deux semaines après l’attentat de Sarajevo, le 14 juillet 1914, il va, en permission régulière, demander à sa chère Bretagne quelques jours de repos et de liberté. C’est seulement après la remise à la Serbie de l’ultimatum austro-hongrois qu’il rentre à Nancy et, dès que la guerre nous est déclarée, il prête, comme tous les Français aussi, serment de ne pas déposer les armes avant d’avoir remporté la victoire et libéré nos provinces captives.

Mais bientôt les premières batailles lui laissent prévoir que cette victoire exigera de longs efforts et de coûteux sacrifices. Si puissante que soit par elle-même une volonté d’offensive, il lui arrive de se heurter à des moyens matériels si abondamment utilisés qu’ils la paralysent et l’anéantissent. Dans la région de Morhange et sur les hauteurs de Baronville, les vaillantes troupes du vingtième corps, division de fer et division d’acier, se brisent contre un ennemi solidement retranché derrière des réseaux de fils barbelés, et protégé par des tirs d’artillerie. Sans se décourager. Foch se hâte de reconstituer ses unités et, lorsque l’armée adverse, cherchant à tourner nos places de l’est, se propose d’enlever notre droite et de prendre à revers nos forces principales, engagées dans nos départements du nord, il est de ceux qui contribuent, avec nos troupes de Lorraine, à lui fermer la trouée de Charmes et à la rejeter, toute meurtrie, sur notre frontière ensanglantée. Parmi tant de morts ensevelis dans les plis de la terre délivrée, il en laisse deux qui lui sont particuliè­rement chers, son fils, l’aspirant Germain Foch, et son gendre, le capitaine Bécourt. Mais il se détourne de ses douleurs privées pour s’absorber tout entier dans la tâche que lui a confiée la patrie.

C’est alors que Joffre, juge impassible de la valeur de ses lieutenants, remet à Foch le commandement d’une armée nouvelle, la 9e, qui, pendant la bataille de la Marne, va résister, près des marais de Saint-Gond, à une formidable poussée allemande. Au plus fort du combat, Foch, qui s’est toujours plu à répéter que le mouvement est la loi de la stratégie, a une de ces inspirations géniales dont il a coutume d’emprunter le premier souffle à la méditation ou à l’histoire. Il prie son voisin, le général Franchet d’Esperey, de l’aider à remplacer, en première ligne, la 22e division, que commande Grossetti et que trois jours de lutte ont cruellement éprouvée ; il la retire du feu, mais la fait aussitôt glisser en arrière de nos lignes et la transporte rapidement face à l’est, de manière que, désemparé et saisi d’effroi, l’ennemi se sente obligé de reculer devant notre front rétabli.

Peu de semaines plus tard, lorsque, vers le nord et vers l’ouest, les Allemands cherchent à nous gagner de vitesse pour arriver les premiers à la mer et déborder notre aile gauche, Joffre n’a oublié ni l’heureuse inspiration ni la manœuvre hardie du commandant de la 9e armée ; et, le 4 octobre, il confère à Foch le titre d’adjoint au général en chef, avec mission, non seulement de coordonner l’action de toutes les troupes françaises engagées entre l’Oise et le littoral de la Manche, mais aussi de concerter leurs opérations avec celles de l’armée britannique, concentrée dans la zone d’Hazebrouck et de Saint-Omer, et de l’armée belge, qui défend avec bravoure, sous les ordres de son roi, les derniers lambeaux de son territoire. Foch installe, d’abord, son quartier général à Doullens ; puis, mû par le désir de mieux dominer la vaste plaine des Flandres, il s’établit, dans cette jolie ville de Cassel qui, fière de conserver à jamais le souvenir de son séjour, lui a élevé l’an dernier, avec le concours des populations enthousiastes, un monument symbolique. Si, aujourd’hui l’Angleterre et la Belgique sont au premier rang des nations amies pour s’associer au deuil de la France, c’est en particulier parce qu’elles n’ont rien oublié des inappréciables services rendus par Foch à la cause de nos trois pays pendant la bataille de l’Yser et la bataille d’Ypres. Ce serait faire œuvre impie que de vouloir, dans une entreprise collective, diminuer, au profit d’un de ses alliés, le rôle des autres ; mais personne ne conteste, je crois que du haut de la colline de Cassel, Foch ait constamment veillé, avec une incomparable autorité, à la préparation des succès communs.

Et voici maintenant que le front s’immobilise et que va commencer, sur d’immenses lignes fortifiées, un long siège de géants, ou des peuples arrêtés face à face, seront tour à tour assiégeants et assiégés. Dans cette guerre qui se fige, Foch, comme tant d’autres, cherche vainement la surprise, l’inattendu, l’événement sauveur. Mais pas un instant il ne désespère, et jusqu’à la fin de 1916, il reste le vigilant organisateur de toute la région militaire qui s’étend de la mer à la vallée de l’Oise. C’est lui qui, au printemps de 1915, s’efforcera d’ébranler en Artois les positions allemandes ; c’est lui qui, au printemps de 1916, montera, sur les deux rives de la Somme, une offensive savamment étudiée, et la poursuivra sans défaillance durant la bataille de Verdun, dans la seule intention de soulager les troupes françaises qui défendent, au prix de si lourdes pertes, les abords de la glorieuse forteresse lorraine.

Deux années se passent. Foch est nommé chef d’état-major de l’armée au ministère de la Guerre. Il dresse les premiers plans de la coopération américaine. Il apporte au comité de guerre français les précieux avis d’une expérience que chaque jour mûrit et alimente. Il préside magistralement à Versailles le Conseil supérieur interallié : premier pas, bien timide encore, vers l’unité de commandement. Et tout à coup, vers la fin de mars 1918, dans une heure d’alarme, tous les yeux inquiets cherchent un chef, et, instinctivement, irrésistiblement, se tournent vers Foch.

Le 21 mars, avant l’aube, trente-sept divisions allemandes se précipitent sur le front allié dans l’espoir de briser la charnière où se rejoignent les troupes britanniques et françaises. Violemment assaillie par des forces supérieures, la 5e armée anglaise est contrainte de se replier ; l’ennemi marche sur Montdidier pour s’ouvrir la route d’Amiens et couper toutes communications entre nous et nos voisins de gauche. Faute d’un commandement unique et d’une volonté dominante, l’armée française va sans doute être condamnée à se ramasser vers le sud et l’armée anglaise acculée à se rabattre sur ses bases maritimes. Le 25 mars, lord Milner et le général Wilson, alertés par le maréchal Haig, arrivent sur les lieux. Les deux gouvernements et les deux états-majors se rencontrent le 26 mars à Doullens et, d’un commun accord, Foch est officiellement chargé de coordonner dorénavant l’action des deux armées alliées. Le 3 avril, cette décision salutaire, mais encore incomplète, se précise et s’améliore à Beauvais. Foch reçoit effectivement la direction stratégique des opérations militaires et, quelques jours plus tard, le titre de général en chef consacre définitivement aux yeux de tous la reconnaissance de son autorité suprême.

Aussitôt investi de ce commandement, qui va s’exercer de la mer du Nord à la plaine d’Alsace, sur une ligne continue de quatre cents kilomètres, et qui met entre les mains d’un seul homme le sort de plusieurs millions de ses semblables, Foch veut que, du centre où il s’installe, sa pensée rayonne à tout instant jusqu’aux cellules extrêmes du prodigieux organisme dont elle doit être l’animatrice ; il faut qu’elle parvienne au soldat dans la tranchée, à l’artilleur près de sa batterie, à l’aviateur dans les airs ; il faut qu’elle inspire à tous la même énergie et la même foi. Ne craignons rien. Foch est prêt ; et ce miracle s’accomplira.

De son quartier général de Sarcus, il tient toutes les commandes du mécanisme qu’il dirige. Il est présent partout et rien ne lui échappe. Après avoir assuré la défense de la Somme, il est obligé d’envoyer des renforts français dans les Flandres pour barrer aux Allemands la route de Calais, et lorsqu’il a fait échouer ces deux tentatives, c’est du côté du Chemin des Dames qu’il est brusquement appelé à conjurer un désastre. Quatre mille pièces d’artillerie, massées en un court espace, ont enveloppé dans d’épais nuages d’ypérite nos troupes de première ligne ; et d’excellentes divisions allemandes, jetées sur la vallée de l’Aisne, ont traversé la rivière, écrasé tout sur leur passage, franchi la Vesle, et menacé pour la troisième fois les approches de Paris. Mais bientôt, secondées par les divisions américaines, nos troupes, reprises en main, retiennent l’ennemi dans la large poche aux abords sinueux où il s’est imprudemment engouffré ; et déjà Foch, en pleine possession de sa puissante et sage méthode, s’apprête à des combats plus vastes et plus décisifs.

Quelques indices concordants lui donnent à penser qu’à l’est et à l’ouest de Reims, les Allemands méditent une double attaque. Loin de s’émouvoir de ces signes précurseurs, Foch comprend tout de suite que s’il réussit à maîtriser les adversaires, leur situation se trouvera singulièrement compromise dans l’impasse où ils se sont aventurés. Il donne ses instructions à Pétain ; Pétain assigne à Gouraud et à Mangin leurs rôles respectifs : tout est en place. Vienne l’ennemi, il trouvera à qui parler. Il arrive, remporte quelques succès partiels, mais ne parvient pas à s’emparer de la montagne de Reims, s’arrête, décontenancé, devant nos 10e et 6e armées et leur livre, en moins d’une journée, huit cents canons et douze mille prisonniers.

« Dans toute guerre, a dit Foch, il y a un moment où une armée se sent portée en avant, comme si elle glissait sur un plan incliné. » C’est au chef qu’il appartient de saisir alors l’occasion fugitive. Au mois de juillet 1918, Foch a entendu le premier appel de la victoire. Il a vu que l’ennemi commençait à chanceler ; il s’est promis de le bousculer sans trêve et sans merci. « L’Entente, s’écrie-t-il, doit frapper maintenant à coups redoublés. » À sa voix, Belges, Anglais, Américains, Portugais, tous nos autres alliés redoublent de courage et d’entrain. Amiens est dégagé ; Montdidier reconquis ; Bapaume et Péronne sont enlevés ; Saint-Mihiel et une partie de la Woëvre sont délivrés ; Gouraud s’avance en direction de Rethel et de Mézières ; et bientôt, dès les premiers jours d’octobre, la forte ligne de bastions derrière laquelle sont réfugiés et retranchés les Allemands commence à céder et à crever çà et là. Foch n’en est que plus fortement déterminé à précipiter ses attaques. Il sait qu’en Italie le général Diaz prépare lui-même une vigoureuse offensive ; qu’en Orient Franchet d’Espèrey a déjà contraint les Bulgares à demander un armistice ; que l’Autriche faiblit et s’épuise. Il s’empresse donc de repartir au pas de charge, et, dorénavant, de jour en jour, les victoires succéderont aux victoires ; les Belges rentreront triomphalement à Ostende et à Bruges ; Lille et Valenciennes seront libérées d’une longue captivité ; le drapeau étoilé flottera aux lisières de l’Argonne. Deux armées françaises seront disposées en Lorraine, sous le commandement de Castelnau, et se prépareront à tourner la place de Metz par l’est, dans la direction de Sarrebrück, pour couper la retraite aux Allemands. À partir du 31 octobre, c’est d’heure en heure que s’accentue la progression des alliés. Nos adversaires, déconcertés, se résignent à un repli général. Foch les poursuit l’épée dans les reins et ne leur permet pas de reprendre haleine. Pour éviter de succomber sur la Meuse ou d’en être réduite à capituler en rase campagne, l’armée allemande envoie des parlementaires à Rethondes et sollicite la suspension des hostilités.

Le 11 novembre 1918, Foch était maitre d’étrangler l’ennemi. Mais dans la conviction qu’un armistice permettrait de régler. à la complète satisfaction du droit, les conditions de la paix future il n’a pas voulu, par sentiment d’humanité, conseiller de plus longues hécatombes. Pour ce soldat français, pour ce soldat chrétien, la guerre n’était pas un but ; elle n’était qu’un moyen, et non pas le moyen de procurer à un pays l’enrichissement ou la domination, mais le moyen de maintenir son indépendance et sa pleine sécurité.

Lorsque l’armistice est signé, Foch félicite en un noble langage ses officiers, ses sous-officiers et ses hommes d’avoir gagné la plus grande bataille de l’histoire et d’avoir fait triompher la cause la plus sacrée, celle de la liberté du monde ; puis, avec sa simplicité native, il arrête et clôt son journal de marche, sans même s’attendre aux hommages du pays qu’il a sauvé. Si, dès le 23 août 1918, il a reçu le bâton de maréchal, si les Chambres ont proclamé qu’il a bien mérité de la patrie, si l’Académie française s’est empressée de l’accueillir dans son sein, il n’a rien demandé à personne, et il paraît étonné, presque gêné, des honneurs qui lui viennent de France ou de l’étranger. Dans la paix comme dans la guerre, il n’a qu’un désir, toujours le même, celui de servir au poste qui lui est assigné. Ce qui le préoccupe désormais, c’est le maintien, dans l’avenir, de cette sécurité qu’il a demandée à la victoire. À la tête de la Commission militaire interalliée, il reste un contrôleur attentif et informé ; il ne néglige rien pour renseigner les gouvernements intéressés ; il ne laisse passer aucun abus ; mais jamais ses observations ne lui sont suggérées par l’esprit impérialiste, par la rancune ou par la haine. Aujourd’hui que la guerre est finie, il n’entend plus être que le soldat de la paix.

Bonté naturelle, modestie charmante, discret effacement qui ont bien souvent ému ceux qui l’ont fréquenté ou seulement approché. Il avait l’esprit vif et ses propos ne manquaient ni de verve, ni d’ironie. Mais, pour le bien juger, il ne fallait pas croire qu’il mît dans ses boutades familières le meilleur de lui-même ; il fallait pénétrer plus profondément en lui et savoir reconnaître que, si alerte que fût son intelligence, il était surtout un homme de cœur et de conscience. Dans la vie publique comme dans la vie privée, il a eu de grandes joies et de grandes tristesses. Il n’a jamais été enivré par les unes, ni accablé par les autres. Il avait cette force de se considérer comme faible devant l’éternité et de pouvoir attribuer à la générosité divine les mérites dont on lui faisait gloire. Négliger, devant ces draperies funèbres, des traits aussi saillants de son caractère, ce serait, par réticence ou par restriction, trahir la vérité. Nous devons à la mémoire de Foch, nous devons à ceux qui le pleurent ici, à la noble femme qui a été sa conseillère et son soutien, à ses enfants, à son frère, à ses amis, de ne laisser dans l’ombre aucune ligne de sa grande figure, et de le montrer tel qu’il a été. Ceux mêmes qui ne partageaient pas ses croyances n’ont jamais pu se défendre d’admirer en lui, outre de merveilleux talents militaires, l’épanouissement des plus belles vertus civiques et le trésor des plus hautes qualités morales. Inclinons-nous, Messieurs, devant les restes sacrés de celui qui, en servant la France, a servi l’humanité et qui vivra, d’une vie sans cesse rajeunie, dans l’esprit de la postérité.