Discours de réception de l'Abbé de Chaumont

Le 1 janvier 1654

Paul-Philippe de CHAUMONT

DISCOURS prononcé en 1654. par Mr. l’Abbé DE CHAUM0NT, depuis Evéque d’Acqs, lorſqu’il fut reçû à la place de Mr. Laugier.

 

MESSIEURS

Si la connoiſſance de ſoy-même & la modeſtie pouvoient s’accorder avec la reconnoiſſance d’un extrême bienfait, & ſi dans une extraordinaire obligation, un reſpectueux ſilence ſe pouvoit garder ſans une lâche ingratitude, j’euſſe conſervé dans mon ame le ſenſible reſſentiment des graces que reçois de Vous. Je les euſſe reverées comme ces faveurs du Ciel qui ſe payent par le sacrifice de nos penſées & les conservant cherement dans le ſecret de mon cœur, je l’euſſe rendu le seul témoin de ma gratitude. Mais comme je ſuis perſuadé qu’il n’y a pas plus de crime à ſoûtenir qu’on n’a point reçu de grace qu’à ne la publier pas, & qu’il n’y a pas moins de honte de la dénier que de s’en taire, j’ay beaucoup mieux aimé vous remercier mal que de ne le point faire du tout, & passer auprès de Vous pour peu habile que pour ingrat. D’ailleurs, toute la hardiesse que la reputation d’une Compagnie ſi conſiderable me peut ôter par la crainte, l’eſperance de ſa bonté me la redonne avec uſure ; & je me flatte de la créance, que voyant dans mon Discours autant de reſpect que de reſſentiment, vous n’aurez pas deſagreable d’entendre des paroles, qui dépourvuës des graces de l’Éloquence, auront au moins celles de la verité. En effet, MESSIEURS, lorſque je songe que j’ay l’honneur d’être reçu dans vôtre Compagnie, bien que l’éclat d’un ſi grand honneur m’environne, il ne m’éblouït pourtant pas, & la lumiere qui pourroit offuſquer les yeux de quelques autres, éclaire les miens, & leur faisant voir mon élevation & vos faveurs, dans un état tout plein de gloire, me fait connoître la dignité de la place que vous m’accordez. Je vois avec autant de crainte que d’étonnement que j’entre après un homme qui ne me laisse que le defefpoir de le fuivre, & que j’ay l’honneur d’être d’une Affemblée dont toute l’Europe revere les Ouvrages, & fuit les decifions ; & qui ayant même fait éclater fa lumiere parmi les glaces du Septentrion, a pû les faire admirer où le Soleil n’oſe porter la ſienne, juſqu’à s’y faire rendre des hommages par les Têtes Couronnées. Outre cette lumiere qui vous eſt ſi propre, j’y remarque encore, MESSIEURS, celle de vôtre Grand Fondateur, toute vive & toute brillante, puisque la même grandeur de courage qui luy fit porter les bornes de nôtre Monarchie au delà du Rhin, des Alpes & des Pyrenées, & rompre ces barrieres que la Nature, plûtôt que les forces étrangeres, ſembloit avoir établies, luy inſpire le deſir d’en faire regner le langage comme il en avoit fait reconnoître la puiſſance, & ne le fit pas moins atteindre au ſuprême honneur des Sciences, qu’à la plus grande gloire des Conquêtes. Mais ſi une clarté qui vient des tombeaux & qui demande le secours de nôtre memoire, touche les yeux avec tant de force, quelle veneration peut imprimer dans les eſprits celle qui brille à nôtre vûë, & qui la frappe ſi puiſſamment, que ſans interroger la fidelité de nôtre ſouvenir, il eſt impoſſible de ne ſe rendre pas à ſa douce violence ? A ces marques, qui ne reconnoît nôtre incomparable Protecteur, dont les perfections extraordinaires ſurpaſſant infiniment celles de tout le reſte des hommes, au même temps qu’elles en attirent l’admiration, elles ſe derobent à leur connoiſſance, & leur font avouer qu’étant de beaucoup au deſſus de leurs penſées, elles ſont auſſi au delà de tous les reſpects que l’on oſeroit s’efforcer de leur rendre. N’ayant donc pas, MESSIEURS, la hardieſſe de le conſiderer dans les penſées que toute la France a pour une fermeté, qui dans les tempêtes de l’Etat a tant contribué au rétabliſſement des affaires, ſans qu’il en ait jamais quitté le timon, même durant les plus violens orages, il me permettra de ne le conſiderer que comme Protecteur de l’Academie Francoiſe, qui le revere ſous ce titre glorieux, moins pour ſon autorité, que pour cette Éloquence qui le fait regner dans tous les Conſeils & dans toutes les Compagnies du Royaume, qui le regarde plutôt comme ſon modele que comme ſon défenſeur, & qui eſpere que l’Éloquence de nôtre âge étant conſacrée dans ſes Ouvrages incomparables, elle le reconnoîtra encore pour Protecteur contre tout ce qui ſe pourra élever de barbarie dans les Siecles à venir. Outre cette protection generale que chacun reçoit de luy, j’oſe m’en promettre une particuliere de ſa bonté. Je me flatte de l’opinion que cette même main qui a ſoûtenu la Monarchie, ayant daigné me preſenter à Vous voudra encore me ſoûtenir auprès de Vous que ſes ſoins infatigables pour les beſoins de cet Etat, s’abaiſſeront quelquefois juſqu’à moy, & qu’enſuite me perſuadant que ſa bonté ne peut non plus être e trompée que fort admirable jugement, je ſeray quelque choſe au delà de mes forces, pour juſtifier l’honneur qu’il m’a fait. C’eſt vous, MESSIEURS, que je conjure de m’en apprendre la maniere. Il y va ſans doute un peu de vôtre gloire, & vous êtes obligez en quelque ſorte de prouver que vôtre choix regardoit l’avenir, qu’il fermoit les yeux ſur le preſent, & que vous vouliez pouvoir dire un jour, qu’il eſt beaucoup plus glorieux de n’avoir pas trouvé que d’avoir rendu une perſonne digne d’être des vôtres. J’en mediteray les preceptes avec reſpect, & je tâcheray à vous faire connoître que ſi je n’ay pu refuſer des paroles à la juſtice de ma reconnoiſſance, & à la force de mon reſſentiment, je ſçauray bien les reſſerrer dans les bornes de mon peu de merite, & dans celles de la retenuë que je dois avoir devant de ſi grands Hommes que vous êtes.