Discours de réception de Jean de Montereul

Le 1 janvier 1649

Jean de MONTEREUL

DISCOURS prononcé par Mr. DE MONTREUIL, lorſqu’il fut reçû à la place de Mr. de Sirmond.

 

 

MESSIEURS,

Quand je conſidere la dignité de cette illuſtre Compagnie, qui a remporté depuis ſon établiſſement tant de glorieuſes victoires ſur l’ignorance, qui a rétabli dans nôtre ſiecle la vertu moins ſevere, & la noble galanterie, & qui a enrichi la France, de ce que la vieille Grece, & l’ancienne & la moderne Italie, avoient eu de plus précieux ; quand je vois d’ailleurs que le peu de merite que je poſſede, ne vous a pas empêchez de m’élever à la gloire d’être un de ceux qui la compoſent, il eſt bien difficile que je trouve des termes aſſez puiſſans, pour joindre des extrémitez ſi éloignées, & qui puiſſent en même tems exprimer la grandeur du preſent que vous m’avez fait, & ſatisfaire au reſſentiment que j’en conſerve.

Ne ſeroit-il donc pas plus à propos de reconnoître cet honneur par un silence plein de reſpect, que par des paroles qui répondront mal à ces hauts ſentimens que je dois avoir de vous, & aux eſperances que vous pouvez avoir eues de moi, ne ſerai-je pas mieux de ne rien dire du tout, puiſque je ſuis aſſuré de ne pouvoir jamais dire aſſez ?

Il eſt vray, MESSIEURS, que mon ſilence violera les loix que vous avez établies : mais il eſt véritable auſſi qu’il ſe trouvera accompagné d’exemples, & appuyé de raiſons. J’imiterai ceux qui entrent dans cet éminent College, qui n’eſt compoſé que de Princes, qui ont quelque temps la bouche fermée, peut-être pour montrer que leur obligation eſt au deſſus de leur reconnoiſſance, & en cachant mes défauts je couvriray encore la faute que vous avez faite, de verſer vos graces ſur une perſonne qui les a ſi peu méritées.

Je ſçay bien que l’on peut en ma faveur donner des excuſes à vôtre bonté, & dire que c’eſt avoir merité vôtre eſtime, que d’avoir pû ſur-prendre vos jugemens ; que je ſuis venu à bout par ce moyen de ce qui n’avoit pas ſemblé poſſible juſques ici, & que j’ai fait quelque choſe de plus excellent que les autres, parce que j’ay fait quelque choſe de moins ordinaire. Je n’ignore pas auſſi, & je le puis dire pour nôtre commune gloire, que mes défauts apportent quelque ornement à cette célébre Académie, non ſeulement en la maniere que les ombres donnent de la beauté à la peinture, & que les faux accords ajoutent des graces à l’harmonie, mais encore, MESSIEURS, parce qu’après que vous avez fait connoître en tous ceux qui ont paſſé devant moy, & que je n’oſe eſperer de ſuivre, ce que peut l’art pour donner la perfection aux natures excellentes & aux belles diſpoſitions, je vous ay donné moyen de faire voir que vous ne ſçavez pas ſeulement achever, mais que vous pouvez encore commencer un vertueux. & que vous imitez ce divin Architecte, dont le monde fut le premier qui produiſit de rien toutes choſes, & qui fit un homme de ce qui n’étoit auparavant que de l’argile.

C’eſt ainſi, MESSIEURS, que je deſire que me conſideriez. Je me preſente devant vous comme une matiere toute prête à recevoir vos impreſſions, & à ſe former ſur vos exemples. Cependant je méditerai ſur la grace que vous m’avez faite, & quand j’aurai été aſſez éclairé de vos lumieres, je ferai voir mon reſſentiment.

Maintenant il ſemble que je le ferai mieux paroitre quand je le ferai moins éclater ; & il eſt vrai que la reconnoiſſance ſoit un des plus nobles mouvemens de nôtre ame, bien qu’il ne ſoit pas un des plus violens, ni un des plus ordinaires, il doit ſans doute avoir les mêmes qualitez qu’ont tous les autres, qui ſe laiſſent moins exprimer quand ils ſe font ſentir davantage, & qui ne ſe portent jamais dans l’excès qu’ils ne demeurent dans le ſilence.

J’attendrai donc, MESSIEURS, qu’après m’avoir fait un honneur que j’ay déſiré depuis une longue ſuite d’années, & que je n’ay jamais oſé eſpérer, vous m’enſeigniez encore le moyen de vous en remercier avec dignité, & en telle ſorte que je puiſſe en même temps ſatisfaire, & à vôtre incomparable mérite, & à mes extrêmes obligations.

Ce que je viens de dire ſur le ſujet de cette illuſtre Académie me ſervira d’excuſe, pour n’avoir rien dit de celui qui en eſt le Chef, & ne pourra trouver étrange, que des yeux qui n’ont preſque pû ſouffrir la lumiere, n’oſent ſe porter ſur le Soleil ; outre que de toutes les Muſiques, je ſçay que celle de la loüange eſt la ſeule qui l’importune ; & qu’étant juſte pour tout le monde, nous pouvons l’accuſer de ne l’être pas pour luy-même, puiſqu’il refuſe de recevoir, l’encens qu’il merite, & qu’il ne veut pas qu’on luy rende l’honneur qui luy appartient ſi legitimement.