Fables

Le 30 mai 1839

Jean-Pons-Guillaume VIENNET

FABLES

LUES DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 30 MAI 1839,

PAR M. VIENNET.

 

 

LE CHÊNE ET LE TOURNESOL.

 

Auprès d’un jeune chêne, espoir d’un beau jardin,
Mais dont la tige frêle et le rare feuillage
Sur quelques palmes de terrain
Traçaient à peine leur ombrage,
Un tournesol tranchait de l’important ;
Et, fier de sa prompte croissance,
Étalait avec arrogance
De ses soleils dorés le panache éclatant.
« Vois, disait-il au jeune chêne,
« L’été qui m’a vu naître est encor radieux ;
« Et ma tige s’élève au-dessus de la tienne :
« Quatre saisons de plus et j’atteindrai les cieux.
« Mais toi, race d’arbuste, à ramper condamnée,
« Le plus hardi jouteur n’oserait t’opposer
« Au rateau du manant qui nous vient arroser ;
« Et cependant trois fois tu vis naître l’année.
— « Cent fois, répond le chêne, elle ouvrira son cours,
« Et mon front sera jeune encore.
« J’ai des siècles à vivre et tu comptes par jours.
« Ton âge n’ira point à la centième aurore.
« L’hiver me vengera de ton superbe espoir ;
« Jouis de ta gloire éphémère.
« J’ai vu déjà mourir ton aïeul et ton père :
« Qui s’élève trop vite est plus prompt à déchoir, »
La menace ne fut point vaine.
L’automne, de sa froide haleine,
Flétrit de l’orgueilleux la tige et les soleils.
Un coup de bêche en termina l’histoire ;
Et le chêne vengé vit expirer sa gloire
Sur le fumier voisin, tombeau de ses pareils.
J’ai vu des tournesols, au Parnasse, à l’armée,
Grandis par les salons, les prôneurs, les journaux,
S’éblouir de leur vogue, et, gorgés de fumée,
Traiter les chênes d’arbrisseaux.
Ils ont vécu plus que leur renommée.

 

 

LE PAON ET LE ROSSIGNOL.

 

« Donne-toi des talents cultive ton esprit,
Disait une mère à sa fille.
« La beauté passe, et quand on y survit,
« C’est par l’esprit encor, par les talents qu’on brille. »
Mais la fille à jamais comptant sur sa beauté,
Méprisait tout autre avantage.
Dans les eaux du lac argenté,
Dont ses pieds foulaient le rivage,
Elle admirait avec fierté
Son indolente et belle image.
Un paon suivait ses pas. C’était un favori,
Dont la vanité complaisante
Aimait à déployer sous sa main caressante
L’or et l’azur d’un cou mollement arrondi,
Et le riche éventail d’une queue éclatante.
« Oui, disait-elle, oui, mon oiseau chéri,
« Rien n’est beau comme toi, ton port et ton plumage.
« Quel hôte ailé de ce bocage
« Oserait se montrer quand tu parais ici ? »
Un rossignol l’osa, mais la hautaine injure
Accueillit sa témérité.
« Va te cacher, oisillon effronté,
Quelle robe, quelle tournure !
« Qu’il est chétif et laid que faire en vérité
« De cette frêle créature ? »
Indifférent et dédaigneux
Comme un homme d’esprit qu’une gazette offense,
Le rossignol, d’abord silencieux
De rameaux en rameaux sautille, se balance,
Monte, descend, remonte, et se posant enfin
Sur la branche d’un sycomore,
Laisse échapper de son gosier sonore
Un prélude charmant, que suit le chant divin,
Dont il venait chaque matin
Saluer la naissante aurore.
La jeune fille écoute, et le cherche des yeux
De ces sons enchanteurs son oreille est ravie ;
« Quoi, dit-elle, c’est lui qui lance dans les cieux
« Ces éclats, ces flots d’harmonie !
« Que ses accords sont purs, brillants et gracieux !
« Qu’il module avec art ses airs délicieux
« Quelle suave mélodie ! »
Des éloges flatteurs, dont un autre est l’objet,
Le paon n’est pas trop satisfait.
Pour ramener vers lui les yeux de sa maîtresse,
Il redouble de soins et de grâce et d’adresse ;
II fait le beau, le tendre, le coquet ;
Et de l’aile et du bec la flatte et la caresse.
« Oui, je t’ai vu, je t’aime, je te vois, 
Lui répond-elle avec impatience.
« Laisse-moi l’écouter, attends, il recommence ;
« Je t’admire toujours, mais tu n’as pas de voix. »
Le paon voit dans ces mots un reproche, un caprice.
Il se pique d’honneur et pousse un son criard,
Comme eût fait le cornet d’un pâtre montagnard,
Ou le hautbois d’un Amphion novice.
Tout le bocage en tressaille de peur,
Le rossignol se tait et fuit à tire d’aile.
La jeune fille en montre de l’humeur,
Et lève sur le paon sa menaçante ombrelle.
Mais sa mère, en riant, rappelle sa raison :
« Pourquoi le menacer ? Qu’as-tu donc à lui dire ?
« Il croyait que partout et dans toute saison,
« La beauté, dans ce monde, à tout devait suffire ;
« Songe qu’en châtiant sa faible opinion,
« Ta vanité s’est condamnée ;
« Et souviens-toi de la leçon
« Que le rossignol t’a donnée. »

 

LES HORLOGES DE CHARLES-QUINT.

 

Lassé du trône et de la cour,
Jeté par ses ennuis au fond d’un monastère,
Dans ce calme et pieux séjour,
Charles-Quint s’ennuyait de n’avoir rien à faire.
Il prit pour passe-temps la lime et le ciseau ;
C’était moins lourd qu’un sceptre ; et de ses mains savantes,
Il façonna quatre horloges sonnantes,
Qu’il rangea devant lui sur le même trumeau
Mais leurs aiguilles discordantes
Ne furent pour ses yeux qu’un supplice nouveau.
En vain à les régler s’exerçait son génie.
Il les accordait le matin ;
Le soir, chacune allait suivant sa fantaisie.
Il y perdit son temps et son latin.
Il en prit de l’humeur ; et sa main un peu rude
En éclats à ses pieds fit choir un des cadrans.
Pardonnons-lui ce péché d’habitude ;
II avait régné quarante ans.
Celui-ci fut très-court, il rit de sa folie.
« Moi, qui n’ai pu, dit-il, accorder de ma vie
« Catholiques et protestants,
« Mes ministres, mes courtisans,
« Mon Espagne et ma Germanie,
« Entre ces œuvres de mes mains,
« Insensé, je voudrais établir l’harmonie,
« Quand Dieu, dont la puissance est, dit-on, infinie,
« N’a pu mettre d’accord quatre cerveaux humains. »
Charles-Quint à ces mots reprenant son bréviaire,
Se rassit et fit sa prière.
L’art a depuis ce temps grandement cheminé,
Les Bréguets ont discipliné
Leurs créatures mécaniques ;
Mais des horloges politiques
Le Bréguet encor n’est pas né.