Dire, ne pas dire

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« Cénotaphe » et « Catafalque »

Le 11 avril 2024

Nuancier des mots

Dans Ferragus, chef des Dévorants, Balzac écrit : « Il est impossible de juger la religion catholique apostolique et romaine, tant que l’on n’a pas éprouvé la plus profonde des douleurs, en pleurant la personne adorée qui gît sous le cénotaphe. » Dans ces lignes, le père de La Comédie humaine semble confondre cénotaphe et catafalque. Cette confusion s’explique par le fait que ces noms, assez proches par la forme, désignent tous deux des monuments funéraires, mais il ne peut pas y avoir une personne adorée qui gît sous le cénotaphe, ce dernier étant, comme on le lit dans notre Dictionnaire, un « monument funéraire élevé à la mémoire et en l’honneur d’un mort, mais qui ne contient pas ses restes », et comme l’indique aussi l’étymologie puisque ce nom signifie proprement « tombeau vide ». Ce à quoi, semble-t-il, songeait Balzac, c’est à un catafalque, c’est-à-dire une « estrade décorée sur laquelle, pendant une cérémonie funèbre, on place le cercueil, réel ou figuré, d’un mort ».

« Constat » et « Constatation »

Le 11 avril 2024

Nuancier des mots

Ces deux termes sont très proches, mais dans leur emploi juridique, on ne peut pas employer l’un pour l’autre et leurs significations sont bien distinctes.

Voici comment notre Dictionnaire définit constatation : « action d’établir la réalité d’un fait, de constater l’état d’une chose, d’un lieu ; la relation qui en est faite ». Constat, lui, est défini ainsi : « acte par lequel un officier ministériel ou un agent assermenté de la force publique relate les constatations qu’il a faites, établit la réalité d’un fait. Un constat d’huissier. Faire dresser constat ».

La constatation désigne donc l’action, le constat, le document.

Lorsqu’on sort du domaine juridique, la distinction de l’un et de l’autre est plus difficile et, dans certains cas, n’existe pas. On peut parfois les employer l’un pour l’autre et dire : J’ai fait un constat, une constatation ; ce constat, cette constatation m’a amené à… D’ailleurs, notre Dictionnaire recourt au mot constatation pour définir constat quand il n’est pas employé comme terme juridique : « constatation d’un état de choses, du résultat d’une action ou d’une série d’actions. Dresser un constat d’impuissance, de carence. Un constat d’échec, de faillite ».

Pour cerner ce qui distingue ces mots, il peut être fructueux de partir des énoncés où seul l’un des deux est possible. Face à c’est un constat d’échec ou à on a abouti à un constat d’échec, on ne peut pas avoir c’est une constatation d’échec ni on a abouti à une constatation d’échec. Le constat est conclusif. Dans la constatation, l’examen n’est pas achevé, il est vu comme en cours de réalisation. D’ailleurs, notre définition associe bien le constat à l’idée de résultat : « constatation d’un état de choses, du résultat d’une action ».

Ajoutons que si l’on peut dire mes premières constatations m’ont permis de…, on ne peut pas dire mes premiers constats m’ont permis de… Avec le mot constat, l’examen (d’un même fait) paraît ne pas pouvoir se faire en plusieurs fois, il ne peut pas être discontinu. Le constat a quelque chose, semble-t-il, de définitif et de global qu’on ne retrouve pas dans la constatation.

Les constructions dans lesquelles entrent les deux mots nous invitent donc à faire l’hypothèse que ce qui les distingue, ce sont des différences d’ordre aspectuel : constat renvoie à un examen donné comme achevé et fait en une fois ; constatation ne connaît pas les mêmes restrictions d’emploi.

Date courte

Le 11 avril 2024

Emplois fautifs

Le nom date désigne un point sur la ligne du temps. On parle ainsi de date de naissance, de date de mariage et l’on dit que tel évènement s’est passé à telle date. Il convient de ne pas confondre ce nom avec délai, qui désigne le temps nécessaire à l’accomplissement d’un acte ou la prolongation consentie pour achever la réalisation d’un projet, et qui est, lui, étendu sur cette même ligne du temps. Le délai est une durée et peut donc être court ou long, ce qui n’est pas le cas de la date. On ne dira donc pas La date de péremption de ces produits est courte, mais Le délai avant la péremption de ces produits est court ou La date de péremption de ces produits est proche.

Peut-être que Paul vous aime-t-il ?

Le 11 avril 2024

Emplois fautifs

Quand il est placé en tête de phrase, l’adverbe peut-être est suivi d’une proposition dans laquelle le verbe et le sujet sont inversés : Peut-être Paul vous aime-t-il. On peut aussi avoir un tour plus familier dans lequel peut-être est suivi de la conjonction de subordination que. Dans ce cas, l’ordre sujet/verbe est conservé et l’on a Peut-être que Paul vous aime. Ces deux tours sont acceptés, mais il ne faut pas mêler ces formes et avoir à la fois la conjonction que et l’inversion du sujet. On ne dira pas ainsi Peut-être que Paul vous aime-t-il.

« Des résultats juste passables » ou « Des résultats justes passables »

Le 11 avril 2024

Emplois fautifs

Le mot juste peut avoir plusieurs sens, mais aussi plusieurs natures. Il est d’abord un adjectif qui signifie « conforme à la justice, au droit, à la raison ». On parlera ainsi d’un maître sévère mais juste, d’une loi juste, d’un impôt juste. Dans tous ces cas, juste est lié au nom justice. Il peut aussi l’être à justesse ; il signifie alors « qui convient parfaitement ; pertinent, vrai ». On dira alors : le mot juste, un raisonnement juste, l’heure juste. De ces sens on est passé à celui d’« ajusté », puis d’« étriqué, à peine suffisant ».

Notre adjectif a été substantivé pour désigner ce qui est conforme à la justice, comme dans le juste et l’injuste, mais aussi une personne qui agit selon la justice. C’est ce que l’on a dans dormir du sommeil du juste ou des justes ou c’est un juste. Aujourd’hui, ce nom s’emploie notamment dans l’expression Juste parmi les Nations, qui désigne une personne non juive ayant pris des risques pour sauver des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Dans certaines régions, on rencontre parfois ce même substantif pour désigner une personne un peu simplette, à l’intelligence limitée.

Enfin, juste peut être un adverbe signifiant « de façon à peine suffisante ». Dans ce cas, il reste invariable. On écrira donc des résultats juste passables et non des résultats justes passables.

Main event

Le 11 avril 2024

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Dans les spectacles, qu’ils soient sportifs ou artistiques, il y a parfois plusieurs épreuves ou plusieurs numéros, et certains sont particulièrement attendus. On commence à entendre ou à lire dans des journaux français, pour les nommer, l’expression main event, proprement « évènement principal ». Rappelons que tout cela n’est pas nouveau et que l’attente fébrile de telle épreuve, de tel numéro ou de tel artiste existait et était nommée bien avant l’introduction dans notre langue de ce main event. On parlait alors d’attraction (ou épreuve) la plus attendue, de la partie la plus attrayante d’un spectacle et surtout de clou du spectacle, toutes expressions qu’il serait dommage de ne pas employer.

« Bench press » et « dodge ball »

Le 11 avril 2024

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le mot sport est tiré de l’anglais, qui l’a lui-même tiré de l’ancien français desport, « loisir ». Et comme ce sont souvent dans des pays de langue anglaise qu’ont été inventées ou codifiées un grand nombre des activités sportives, beaucoup de termes s’y rapportant sont anglais. Rien à dire à cela. Mais il y a aussi des sports pratiqués depuis très longtemps qui ont des noms français. Parmi ceux-ci on trouve, entre autres, le cyclisme, l’athlétisme, l’escrime, l’haltérophilie, la musculation. Or, pour ces derniers, les choses sont en train de changer. Qui a fréquenté une salle de musculation au siècle dernier (on parlait moins alors de body building) a pu être amené à faire du développé couché ; le principe de cet exercice est le suivant : le pratiquant s’allonge sur un banc, saisit une barre reposant sur des supports, l’amène au niveau de sa poitrine et la remonte. Ce sport est très en vogue aujourd’hui, mais son nom français est en danger, car on le remplace de plus en plus, en France, par son équivalent anglo-américain bench press, proprement « banc de presse ». Et ce cas n’est pas isolé : une autre activité de loisir s’anglicise puisque la balle au prisonnier ou aux prisonniers (dite aussi ballon prisonnier ou ballon-chasseur) des cours de récréation de notre enfance a vu récemment un toilettage de ses règles, mais ce dernier s’est effectué au prix du changement de son nom puisque, désormais, on l’appelle de plus en plus dodge ball, proprement « la balle à éviter ».

Faire monter des enfans sur l’ours pour leur oster la peur

Le 11 avril 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

« Faire monter des enfans sur l’ours pour leur oster la peur », on lisait cette phrase dans la première édition de notre Dictionnaire. Elle était suivie de celle-ci : « On dit proverbialement & bassement d’Un enfant qui n’a point de peur, qu’Il a monté sur l’ours. » Littré confirmait tout cela en écrivant : « Il le faut faire monter sur l’ours, se dit d’un homme qui a peur et qu’on veut aguerrir, comme on aguerrit les enfants en les plaçant sur le dos d’un ours apprivoisé. » Il faut dire que l’animal avait de quoi faire peur puisqu’on le présentait comme un « animal feroce & fort velu » et que, de la première à la septième édition de notre Dictionnaire, l’article Ours comportait cet exemple : « Il fut dévoré par un ours. » Notre ours entre aussi dans l’expression ours mal léché, que l’on emploie pour désigner une personne mal dégrossie et peu amène. Rabelais nous en donne l’origine dans Le Tiers Livre : « Comme un Ours naissant n’a pieds ne mains, peau, poil, ne teste : ce n’est qu’une piece de chair rude & informe. L’ourse a forse de leicher la mect en perfection des membres. » Que l’on rencontre l’ours dans de nombreuses expressions n’est guère étonnant, tant il a marqué les esprits par sa force, sa taille et son aptitude à se tenir debout, dans plusieurs régions du monde, et ce, depuis l’Antiquité. Le linguiste Antoine Meillet avait montré que, dans les pays du Nord et de l’Est de l’Europe, il n’était pas nommé par des formes parentes du latin ursus ou du grec arktos, mais par des périphrases : ber, « le brun », dans les langues germaniques ; medved, « le mangeur de miel », en russe, et d’autres encore comme « le vieux », « le maître de la forêt » ou « le grogneur ». On suppose qu’une forme de pensée magique interdisait de nommer directement l’animal que l’on chassait, sans doute en raison de la grande valeur qu’on lui accordait. Il n’est pas étonnant dès lors que cet animal exceptionnel soit un élément fréquemment utilisé dans la toponymie et dans l’onomastique, parfois au prix de quelques libertés avec l’étymologie. Les villes de Berne et de Berlin en sont un exemple, qui rattachèrent leur nom à celui de l’ours, qu’elles firent d’ailleurs figurer sur leur emblème. Dans ces deux villes, on éleva d’ailleurs, dans un enclos bâti à cet effet, des ours, les totems de la cité. Mais notre animal a fait mieux puisque c’est à lui qu’un océan et un continent, qui couvrent ensemble presque trente millions de kilomètres carrés, doivent leur nom. Les adjectifs arctique et antarctique sont en effet tirés du grec arktos, qui a d’abord désigné l’ours, puis, par métonymie, les constellations de la grande ourse et de la petite ourse, et enfin l’étoile polaire. Pour ce qui est de l’onomastique, on retiendra les formes comme Bjorn, dans les pays scandinaves, et Orso ou Orsini, dans les pays méditerranéens. Orso est d’ailleurs le prénom du frère de Colomba, héroïne éponyme de la nouvelle de Mérimée.

Mais revenons à nos ours qui ôtent la peur aux enfants. Grâce à un ancien président des États-Unis, ils continuent à le faire sans qu’il soit besoin que les enfants ne grimpent sur leur dos. Theodore Roosevelt était un grand chasseur devant l’éternel, qui avait couru tous les continents pour satisfaire sa passion. Or il arriva qu’une partie de chasse à l’ours, organisée dans le Mississipi, allait se terminer sans que le Président en ait abattu un seul. Pour éviter qu’il ne rentre bredouille, son guide lui proposa de tuer un ourson blessé cerné par les chiens. Roosevelt épargna l’animal. L’anecdote fut rapportée par le Washington Post et illustrée par un dessin de presse où l’on voyait le pauvre ourson. Très vite, on commença à fabriquer des jouets en peluche à sa ressemblance que l’on appela Teddy Bear, « l’ours Teddy », Teddy étant le diminutif affectueux que les Américains donnaient à leur Président. Depuis, l’ourson, le nounours, a conquis le monde et est devenu l’animal le plus représenté en peluche.

Vouer aux gémonies

Le 11 avril 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

NOTRE DÉFINITION

Traîner, vouer quelqu’un aux gémonies, l’accabler publiquement d’outrages.

L’HISTOIRE

Les Gémonies, littéralement « l’(escalier) des gémissements », qui tirent leur nom du latin gemonia (scalae), un dérivé de gemere, « gémir », étaient, dans la Rome antique, le lieu où l’on exposait le corps des criminels, étranglés en prison, avant de les jeter dans le Tibre. L’expression traîner ou vouer aux gémonies a pris son sens figuré actuel au xixe siècle.

On peut se demander ce qui explique le succès de cette expression, qui fait référence à une réalité historique ancienne assez peu connue et qui n’est pas propice à une remotivation étymologique. Peut-être est-ce dû au nom même de gémonies, à sa forme sonore, qui rappelle gémir, gémissement ou même démon : c’est ce qu’ont pensé certains historiens de la langue. Son caractère mystérieux a pu également contribuer à la pérenniser, d’autant que vouer garde de son premier sens une forme discrète de halo religieux.

D’AUTRES EXPRESSIONS

Il y a bien d’autres expressions que l’on doit à la dureté de la justice d’autrefois. Donner le coup de grâce à quelqu’un a un sens métaphorique depuis le xviiie siècle et signifie « le perdre, le ruiner définitivement ». À l’origine, le coup de grâce était celui que l’on portait à un supplicié pour abréger ses souffrances. On se souvient ainsi que, dans Le Capitaine Fracasse, Chiquita tue d’un coup de couteau au cœur Agostin, le maître voleur dont elle était amoureuse et que le bourreau s’apprêtait à rouer. Mais la cruauté de la situation (derniers moments d’un condamné) fait que l’on n’a pas retenu l’aspect miséricordieux du coup et que, en sortant du domaine proprement judicaire, il est devenu une marque de l’acharnement de quelqu’un.

Autre expression intéressante Être sur la sellette, ainsi glosée dans notre Dictionnaire : « être exposé au jugement d’autrui, faire l’objet de critiques ou être soumis à un feu de questions ». La sellette désignait, sous l’Ancien Régime, « le petit siège de bois très bas, sur lequel on forçait un accusé à s’asseoir quand on l’interrogeait pour le juger ». L’expression a connu un premier emploi figuré à la fin du xvie siècle : ce n’était plus un accusé qui était assis, mais un étudiant qui soutenait une thèse. L’aspirant docteur pouvait rester jusqu’à douze heures sur ce siège tandis que ses maîtres se relayaient pour l’interroger.

Enfin, citons Brûler à petit feu. Le sens de cette expression s’est adouci au cours du temps. Aujourd’hui, vous me faites brûler à petit feu signifie « vous excitez trop longtemps mon impatience ». Mais, dans la première édition de notre Dictionnaire, on lisait : « Brusler un homme à petit feu, pour dire, Le faire languir, en faisant durer long-temps des chagrins, des inquietudes, des peines d’esprit, qu’on pourroit luy espargner, ou luy abbreger. » Au sens propre en effet, comme l’écrit Littré, brûler à petit feu, c’est « brûler lentement un condamné, afin de rendre le supplice plus cruel ».

POUR ALLER PLUS LOIN

Vouer est dérivé de vœu, qui vient lui-même du latin votum, désignant une promesse faite aux dieux. Le verbe est sorti du domaine strictement religieux au xviie siècle, comme ses dérivés dévouer et dévouement. Mais les emprunts tels dévot, dévotion, votif, entrés plus tardivement dans la langue et par l’intermédiaire du latin d’Église, ont gardé cette valeur proprement religieuse.

Voter est aussi un terme remontant au même étymon, votum, mais n’a pas gardé son sens religieux : à l’imitation de la langue anglaise, il a pris au xviiie siècle le sens politique qu’on lui connaît aujourd’hui. Outre-Manche en effet, to vote a signifié dès le xvie siècle « exprimer son opinion, dire ce que l’on souhaite en votant ». Et c’est ce verbe anglais qui a donné les mots français voter puis vote.