Centenaire de la naissance du maréchal Foch, à Bruxelles

Le 18 octobre 1951

Maurice GARÇON

Anniversaire de la naissance du maréchal Foch

A BRUXELLES

DISCOURS

DE

M. MAURICE GARÇON

AU NOM DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
LE JEUDI 18 OCTOBRE 1951

 

MESSIEURS,

 

On ne peut vivre toujours dans la fièvre et dans le tumulte. Surtout dans les moments où de grandes inquiétudes bouleversent le monde et où les nations envisagent avec angoisse l’incertitude de leur avenir, il. convient que les hommes se ménagent parfois des haltes, sur la route de leur destin, pour épargner leurs forces et méditer. Pendant ces heures de détente, rien n’est plus susceptible de renforcer le courage que de se représenter les instants de l’Histoire où, luttant contre les vents contraires, les générations qui nous ont transmis le flambeau ont triomphé de l’adversité.

Les anniversaires fixent ces étapes naturelles : ils permettent à la fois de célébrer la mémoire de ceux qui ne sont plus, nous rappellent leurs enseignements, et réconfortent notre courage.

Le centenaire du Maréchal Foch, dont la gloire si pure est également vénérée danse nos deux pays, méritait d’être marqué en Belgique avec un éclat particulier. Ce grand capitaine est si intimement mêlé .à l’un des événements de votre histoire, dont vous pouvez être le plus fiers, que .vous ne pouviez manquer de ranimer son souvenir lorsque l’anniversaire de sa naissance vous en fournissait l’occasion.

Depuis 1839 vous étiez un peuple pacifique. Vos voisins vous avaient garanti de respecter et d’assurer votre neutralité. En 1870 ils avaient solennellement réitéré leurs engagements. Pendant soixante-quinze ans vous aviez vécu paisiblement. Toutes vos activités étaient consacrées à des travaux de paix et vous étiez une nation heureuse et prospère. Votre armée était surtout destinée à faire respecter l’ordre intérieur et vous ne connaissiez pas l’inquiétude que provoque l’ombrageuse surveillance de voisins jaloux.

Et voilà pourtant que pendant l’été de 1914 vous avez entendu au loin un bruit d’armes qui vous a fait pressentir que le Monde se mettait en fureur. Respectueux vous-même de la Parole donnée, vous n’imaginiez pas qu’un de ceux, qui vous avait garanti votre neutralité et son appui, serait assez félon pour violer ses plus solennels engagements

Cependant, le 2 août dans le soir, votre Roi recevait avec douleur un ultimatum le sommant de laisser les troupes mandes opérer sur son territoire. Nuit tragique au cours de laquelle le conseil de la couronne, sous la présidence de son souverain, ne balança pas entre l’honneur et l’intérêt et; refusa hautainement de transiger. Votre gouvernement soutenu, par le pays tout entier n’admit pas de sacrifier l’honneur de la Nation et de trahir ses devoirs vis-à-vis de l’Europe.

Le 4 août les troupes allemandes franchissaient la frontière à Gemmenich et, avant toute déclaration de guerre, s’avançaient jusqu’à Liège et sommaient la place de se rendre.

Vous aviez le droit pourtant de croire que vous ne seriez pas engagé dans le conflit. Vous aviez toujours observé une neutralité si correcte que rien ne pouvait excuser un pareil attentat.

Votre armée mal préparée pour subir un pareil assaut se trouva soudain à l’avant garde d’une des plus grandes batailles que se soient livrés les hommes Contre une puissance militaire qui avait minutieusement préparé, la guerre, vous ne pouviez opposer que des troupes peu prêtes au combat. Vous n’aviez point l’expérience de la guerre, mais votre force morale vous a permis de faire front et d’amortir le premier choc d’un agresseur, qui considérait la vitesse de son avance comme l’atout le plus décisif de sa victoire.

Héroïquement, le général Léman retarda par son sacrifice la ruée des hordes ennemies La garnison, inférieure en nombre et en armes, tint bon et préféra périr sur place que de capituler. Le 8, le fort Barchon tomba, le 11 ce fut le tour du fort d’Evegnée, le 13 le fort Pontisse s’écroula, le 14 au matin le fort Fleron tenait encore.

En retenant ainsi l’ennemi, vous permettiez à la France de concentrer ses forces, et vous avez ainsi grandement contribué à sauver la cause des alliés.

Refoulée cependant sur la Gette, puis dans le camp retranché d’Anvers, vous avez repris haleine avant de vous rejeter dans la lutte.

Pendant ce temps la France accourue à votre appel subissait quelques revers. Pied à pied ses armées reculèrent jusqu’au jour où, sur la Marne, elles reprirent l’offensive et infligèrent aux Allemands leur première défaite. Pendant que les nôtres se sacrifiaient en faisant un effort désespéré, votre armée réfugiée à Anvers, mal remise encore des épreuves dont elle était sortie avec honneur, faisait une sortie efficace qui empêchait l’ennemi de conjuguer toutes ses forces contre nous.

Le 11 septembre l’armée allemande commençait sa retraite.

Foch, qui avait débuté à la bataille de Morhange à la tête du 20e corps, commandait alors la 9e armée qui s’était trouvée pendant le combat au centré de la ligne française.

L’état-major allemand, voyant qu’il ne pourrait plus enfoncer notre front, désormais solidement retranché, ne désespéra pas encore de s’assurer une victoire offensive, et tenta, sur sa droite, de nous déborder. Chacune de ses tentatives échoua, mais aboutit à étendre la ligne de feu de plus en plus vers le Nord dans une manœuvre furieuse qu’on a appelé depuis la course à la mer.

Foch, devenu adjoint du commandant en chef le 16 octobre, avait été chargé du commandement des armées françaises entre l’Oise et la mer du Nord, ainsi que de leur coordination avec l’armée belge. Lorsqu’il prit son commandement, il n’y avait rien entre la Bassée et la mer. C’est alors qu’avec cette clairvoyance que lui donnait son génie, il fit appel aux troupes belges toujours retranchées autour d’Anvers et auxquelles il demanda de venir le rejoindre. Vous avez répondu à son appel, la jonction se fit à Dixmude. Il était temps. Le front s’étendit dès lors d’une façon continue de la Suisse à la Mer du Nord et c’est la Belgique qui avait fermé le verrou.

Devenu, plus tard Maréchal, Foch a écrit ses Mémoires et il nous a laissé le récit de son entrevue avec le Roi Albert :

« Le Roi me reçoit quelques instants après. Il est dans la salle des Echevins, vaste pièce d’une belle décoration, avec une grande cheminée où brille un feu que la température et l’humidité de la journée, rendent particulièrement appréciable. C’est la première fois que je rencontre cette grande personnalité, noble figure de l’honneur et du devoir. Je ne l’aborde pas sans un certain embarras, bien résolu avant tout à défendre la cause commune du salut de la Belgique et de la bataille alliée alors en cours. L’écho de ces sentiments ne se fait pas attendre. La Belgique ne représente plus qu’un lambeau de territoire, sur lequel se sont réfugiés son gouvernement et son armée. S’ils reculent encore, d’une vingtaine de kilomètres l’adversaire aura raison de la Belgique et la tiendra tout entière en son pouvoir, il en disposera, elle sera rayée de la carte de l’Europe. Y renaîtra-t-elle au jour de la paix ? L’armée belge est certainement très épuisée, pense le Roi, mais à la voix de son chef elle retrouvera toute son énergie, pour défendre ce qui reste de patrie, s’accrocher à l’Yser, et donner aux troupes alliées le temps d’accourir. Ses décisions et ses dispositions vont en témoigner. L’armée belge s’organisera et défendra la ligne de l’Yser de Nieuport à Dixmude et à Boesinghe, où elle retrouvera l’appui des troupes françaises.

Pendant quatre ans la ténacité, et la vaillance de l’armée belge triomphèrent des attaques les plus opiniâtres et les plus acharnées. Grâce à la fermeté de son Roi et de ses soldats un morceau de terre belge demeura libre jusqu’au moment où, en septembre 1918, la petite armée maintenant aguerrie et qui fit l’admiration du monde, sortit des tranchées de l’Yser pour reconquérir la Belgique.

De pareilles épreuves, supportées en commun, avaient fait naître entre votre Souverain et le général Foch une amitié faite d’estime et d’admiration réciproque. Le Roi Albert dit de Foch après une conférence qu’ils avaient tenue ensemble — Jamais on ne m’a parlé comme ça.... cet homme ferait battre des morts !

Et la Reine qui accompagnait le Roi partout et jusqu’au milieu des périls, dit un jour au Général Weygand en lui désignant le futur Maréchal qui devait nous donner à tous la victoire : — C’est notre rayon de soleil.

Foch aimait Votre Souverain dont il avait pu apprécier la noblesse de cœur. Il l’allait voir souvent et s’entretenait familièrement avec lui. Il a laissé de ses visites une émouvante description :

« Le Roi était installé, avec la Reine et les Princes, non loin de là dans une ville des bords de la mer, à La Panne. Il venait tous les jours au Grand-Quartier-Général et s’établissait alors au presbytère de Houthen, où se trouvaient certains de ses bureaux. Le presbytère n’avait rien d’imposant c’était un solide bâtiment carré, entouré d’eau de tous côtés, qu’on abordait par un étroit pont en bois. Dans ce modeste réduit allait continuer de battre le cœur de la Belgique. Là était le foyer de l’énergie qui allait permettre de tenir tête pendant près de quatre ans à un formidable ennemi, et d’en repartir en 1918 à la conquête du sol natal. Il reste à mes yeux le monument le plus capable de témoigner devant les générations à venir de la grandeur d’un petit pays triomphant sous la chevaleresque direction de son Roi et par la vaillance de ses enfants, de la plus violente et de la plus inique ces agressions. »

En ce jour qui nous permet d’évoquer deux si grandes figures ; trouvons dans cette évocation des raisons de souvenir que, même lorsque l’adversité semble vouloir nous abattre, nous ne devons pas désespérer mais penser au contraire que nos deux peuples ont, en eux-mêmes, des ressources infinies pour triompher du Malheur.